31 juillet 2007

Hay !

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Ils me transpercent encore —
les yeux que le serpent
a laissés dans l'herbe !
...
(Takahama Kyoshi)
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30 juillet 2007

Débranche tout

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Retour au pays natal.




Toute lecture digne de ce nom se doit d'être absorbante et voluptueuse. Nous devons dévorer le livre que nous lisons, être captivé par lui, arraché à nous-mêmes, et puis sortir de là l'esprit en feu, incapable de dormir ou de rassembler ses idées, emporté par un tourbillon d'images animées, comme brassées par un kaléidoscope. Les mots, si le livre nous parle, doivent continuer de résonner à nos oreilles comme le tumulte des vagues sur les récifs et l'histoire — s'il s'agit d'une histoire — repasser sous nos yeux en milliers d'images colorées. C'est pour ce plaisir-là que, dans la période éclatante et troublée de l'enfance, nous lisons avec tant d'attention, et adorons si tendrement nos livres. Le style et les idées, les personnages et les dialogues n'étaient que des obstacles à écarter, tandis que nous creusions joyeusement notre récit, en quête d'un certain type d'événements, un peu comme des cochons cherchent des truffes.

(Robert Louis Stevenson, À bâtons rompus sur le roman)
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29 juillet 2007

Au bord des grenouilles

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SOI



L'S représente cet escalier tortueux comme celui que l'on voit dans ce tableau de Rembrandt au Louvre, qu'on appelle le Philosophe, et par lequel on descend dans la conscience. Et qu'y trouvez-vous, je vous prie ? Un O et un I, c'est-à-dire un flambeau et un miroir.

(Paul Claudel, cité par Gérard Genette dans Mimologiques)
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28 juillet 2007

Image

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Ainsi que tout le monde peut le constater.


Quelque précaution que nous prenions, nous ne savons pas ce que nous faisons. Nous ne saurons jamais pourquoi nous avons vécu. Durant toute notre vie, nous ignorons pourquoi nous avons été des individus vivants durant cette brève durée. Lecteurs, nous ne savons même pas pourquoi nous obéissons à cette nécessité de tellement lire et nous ignorons ce qu'elle signifie. Nous ignorons tout des signes que nous adressons à des êtres que nous ne connaissons pas.
Nul n'entend sa voix, qui est un visage. Nul n'entend son accent, qui est un lieu. Nul n'entend l'inflexion de sa voix, qui tend la carte de visite presque japonaise du signe d'appartenance sociale qu'il appelle de ses voeux. Nul n'entend et tous obéissent à ce son, à cet accent, à cette inflexion qui les guident. Nos plaintes démasquent en nous une triste jouissance. Nos protections nous accusent, nos phobies racontent notre vie de façon plus indécente et plus directe que nos rêves eux-mêmes. Nos habits dressent par le menu la liste de nos héros. Nos vices confessent moins le régime de nos plaisirs que l'ombre de nos épouvantes. Notre corps n'est que l'esclave asservi à tous ceux auxquels il s'est identifié, c'est-à-dire aux tyrans familiaux, morts depuis longtemps, qui tyrannisent d'autant plus vivement ce corps qu'ils ont généré qu'ils sont ensevelis, dans le désir où nous sommes de les rapatrier en nous comme en des tombes. Notre apparence tend ses chaînes à la domination errante. Notre regard dit tout et les lunettes noires encore davantage. La maxime de Descartes, larvatus prodeo, est une injonction qui est plus impossible encore que la sincérité elle-même qui nous est impossible à force d'ignorance sur nous-mêmes : avancer un masque, en latin une persona, exhibe dans son élection encore plus de soi que la complexité immedita. Nul ne sait ce qu'il montre quand il cache.

(Pascal Quignard, Rhétorique spéculative)
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27 juillet 2007

Souvenir d'un 17 juillet

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Toujours cette histoire de cheminée


.....Soumets-toi tout entier à ton meilleur moment, à ton plus grand souvenir.
.....C'est lui qu'il faut reconnaître comme roi du temps,
.....Le plus grand souvenir,
.....L'état où doit te reconduire toute discipline. Lui qui te donne de te mépriser, ainsi que de te préférer, justement.
.....Tout par rapport à Lui, qui installe dans ton développement une mesure, des degrés.
.....Et s'il est dû à quelque autre que toi — nie-le et sache-le.
.....Centre de ressort, de mépris, de pureté.
.....Je m'immole intérieurement à ce que je voudrais être !

(Paul Valéry, Monsieur Teste)
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26 juillet 2007

Grâce

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Ce que quelques jeunes gens trouvèrent au fond d'un étang.


D'ordinaire, Colvin entretient en moi, par contagion, de telles craintes à votre sujet que je suis rassuré de vous savoir incommodé par rien de pire que la privation de tabac et d'alcool. « Rien de pire ? » vous entends-je reprendre en écho, en vous demandant à quelle torture d'une suavagerie plus raffinée je puis vous imaginer soumis. Vous préféreriez peut-être — on ne saurait vous en blâmer — périr par l'épée, plutôt que de privations. Mais vous ne périrez pas, mon cher Louis, je suis là pour l'affirmer. J'aurais dû périr, moi, voilà longtemps déjà, si c'était mortel. Aucun alcool, ou presque, ne passe le seuil de mes lèvres atrophiées, capables pourtant d'un hypocrite soupir de résignation. Je suis vraiment désolé pour vous car je me souviens, aux temps lointains et fabuleux, du plateau sous la lampe conviviale de Skerryvore, tandis que la soirée s'écoulait. À Vailima, les soirées s'écoulent également mais le plateau a disparu, je suppose. Puisse cette rude épreuve être allégée et même, comme vous autres missionnaires le dites, vous être une bénédiction. Cela blesse, je le répète, mais ne tue pas : c'est d'autant plus dommage.

(Lettre de Henry James à Robert Louis Stevenson)
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25 juillet 2007

Soupirs et bambous

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Sas de crispation


Et les mots viennent par bouffées
forment une espèce de nuage
d'où nous tombons
puisque maintenant
nous tombons, pire qu'un rêve
comme les amants du chant V à
pic & et de très haut
quand bien même le nuage raserait le sol
& le coeur dans sa petite cage incroyablement solide
(entre ses parois de vide et d'atomes infini)
s'affole

(Bernard Chambaz, Entre-Temps)
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24 juillet 2007

phopa

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Ombre et fantôme.


Se marier, fonder une famille, accepter tous les enfants qui naissent, les faire vivre dans ce monde incertain et même, si possible, les guider un peu, c'est là, j'en suis persuadé, l'extrême degré de ce qu'un homme peut atteindre.

(Franz Kafka, Lettre au père)
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23 juillet 2007

Coeur fichu

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Des soupes au soleil.


Hippolyte ! Hippolyte ! J'ai mal !
Je me consume... Dans la brûlure des joues...
Quel effroi cruel contient
ce nom : Hippolyte !

Telle une longue vague
contre la berge de granit.
Enflammée par Hippolyte !
Délirante au nom d'Hippolyte !

Des épaules, les bras vont jusqu'à terre !
dans la sciure, brisure de dents !...
Pleurer ensemble, se coucher ensemble !
Mon esprit ardent s'embrase...

Comme dans les narines et sur les lèvres, la poussière
d'Herculanum... Je me fane... Je m'aveugle...
Hippolyte : pire que la scie !
Plus sec que sable et cendres !

Un taon dans les pleurs ouverts
d'une plaie frémissante... Un taon furieux...
Une plaie rouge qui enflamme
une jument au galop !

Hippolyte ! Hippolyte ! Cache-moi !
Sous cette chlamyde, comme dans une crypte,
il est un paradis pour les rosses :
l'abattoir ! Le taon me brûle !

Hippolyte ! Hippolyte ! Enchaîne-moi !
Dans la poitrine, le bec des Harpies
est la source de ma chaleur,
et non les pétales d'Hippolyte !

Hippolyte ! Hippolyte ! À boire !
Fils et beau-fils ? Complice !
Lave, au lieu d'une dalle
sous le pied ! L'Olympe murmure ?

Ceux de l'Olympe ?! Leur regard somnole !
C'est nous qui sculptons les dieux !
Hippolyte ! Hippolyte ! Dans un manteau,
sous cette chlamyde, comme dans une crypte !

Hippolyte, étanche...

(Marina Tsvétaïéva, Après la Russie)
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22 juillet 2007

Silhouette grise

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Pâle et fade, à mâchouiller en cas de pénurie seulement.


Il entra au Service des réexpéditions. On y traitait les lettres qui n'étaient pas arrivées à destination. Il ouvrait le courrier et y cherchait des indices qui permettaient de le renvoyer à son expéditeur, frappé du tampon avertissant que sa correspondance avait été ouverte par autorisation spéciale. L'essentiel de cette correspondance à réexpédier ou à stocker avant destruction était constitué d'échanges administratifs. Mais il y avait aussi des lettres qui étaient comme de petites étoiles, lettres adressées à une soeur, confidences faites à l'ami. Elles n'étaient pas parvenues entre les mains de ceux qui en auraient retiré un moment de bonheur, et elles allaient être détruites. En les lisant, il pensa aussi à tous ces messages non envoyés qui auraient adouci, peut-être bouleversé la vie de quelques-uns — lettres oubliées dans un livre parce que le démon de l'à quoi bon ? l'avait emporté sur la tentation d'aimer, messages commencés avec l'intention de répondre avec flamme à une déclaration timide et devenus au bout du compte un billet poli et froid, presque une fin de non-recevoir. Tous ces signaux perdus dans l'espace étaient comme des scintillements dans la nuit.

(Linda Lê, Personne)
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21 juillet 2007

Sparkles

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Allons enfants de la marmite
La soupe aux choux est bien salée
On aura des pommes de terre frites
Et des haricots fricassés...
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20 juillet 2007

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Lam, l'étoile de la liane au front et tout ce qu'il touche brûlant de lucioles.

(André Breton)
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19 juillet 2007

Des pas, des plumes

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Et des fantômes.


.....Kuk-Kuk : qui de nous deux trouera, déchirera, arrachera de l'autre le coeur le premier ?
.....Vous songez que votre salut est dans l'immobilité, vous vous faites statue, pierre. Mais peut-être déjà êtes-vous en ma puissance et n'ai-je qu'à tendre le bras et refermer ma main sur votre gorge, ou y plonger le stylet meurtrier...
.....Et ce cliquetis métallique, ce froissement, si proches, est-ce le chien d'un révolver que l'on arme ? Ou bien une ruse ? Celle qui vous forcera à tirer le premier : une langue de feu rougeoyante et sourde jaillie trahissant votre position dans la nuit. Vous serez à ma merci, attendant le coup de grâce, ce coup de grâce qui ne vient pas, dont vous ne savez d'où il viendra, que vous n'imaginez même pas entendre venir tant l'inscrutable nuit, son silence bruissant, avant même toute déflagration, ont rompu vos tympans... Vous vous sentez à découvert. Vous cherchez une paroi à laquelle vous adosser. Vous croyez que vous serez plus en sécurité, moins exposé, dans une encoignure. Réfugié là, vous imaginez disposer du répit nécessaire à me déceler. Mais pour atteindre ce coin, ce refuge, que vous faudra-t-il traverser ? L'espace du langage est un piège que je vous tends. Sur quoi buterez-vous ?
.....Lecteur, sais-tu seulement par où tu es entré et où se trouve la porte, et même s'il y en a une ? Tu peux certes sortir de ce récit par effraction, en refermant maintenant le livre. Mais la chambre noire ne s'en évanouira pas pour autant. Dans cette chambre noire, pour toute étenité, quand bien même tu en condamnerais la porte, je t'attends, lâche lecteur.
.....Car cette chambre, et telle est l'énigme inscrite au front de la chimère ou du golem qui en garde l'invisible seuil, tu y étais déjà avant que d'y entrer et tu y seras encore quand tu en sortiras.

(Anne Garréta, La Décomposition)
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18 juillet 2007

Cals

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Cérémonial, festival, régal, fatal.


Il se souvient
De quand deux mains terrestres attiraient
Sa tête, la pressaient
sur des genoux de chaleur éternelle.
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Étale le désir ces jours, parmi ses rêves,
Silencieux le peu de houle de sa vie,
Les doigts illuminés gardaient clos ses yeux.
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Mais le soleil du soir, la barque des morts,
Touchait la vitre, et demandait rivage.
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(Yves Bonnefoy, Les Planches courbes)
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17 juillet 2007

En marge

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Au-delà du pilou.


Il faut s'établir à l'extérieur de soi, au bord des larmes et dans l'orbite des famines, si nous voulons que quelque chose hors du commun se produise, qui n'était que pour nous.

(René Char, La parole en archipel)
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16 juillet 2007

Déménagement rêvé

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À cause d'un observatoire, peut-être.


Au Nouvel An, il est resté enfermé trois bons jours dans une hyper-pièce où on n'arrivait absolument pas à saisir ce qui était plancher et ce qui était plafond. La pièce était délimitée non par quatre murs mais par huit pièces de l'espèce ordinaire, mais, elles, encastrées les unes dans les autres d'une façon assez incompréhensible. Par exemple, il suffisait de partir d'un angle quelconque, de faire cinq ou six pas dans une direction quelconque et l'on se retrouvait de nouveau au point de départ. Ces pièces étaient pleines de portes et certaines de ces portes étaient en forme de cagibis, donc ne s'ouvraient pas, mais il fallait y entrer pour sortir et, aussitôt après, dieu sait comment, on se retrouvait dans la première pièce ; seulement, si on était sorti par la droite, on rentrait maintenant par la gauche, et si on sortait par en bas on réapparaissait en haut. Partout il faisait un froid pour le moins repoussant. Une situation rendue encore plus inconfortable par le manque de lits, de nourriture et même d'eau : il devait en effet s'agir d'un bâtiment de construction récente, inhabité, car il manquait jusqu'au courant électrique ; et quoique la pièce, ou les pièces, fussent dépourvues de fenêtres, elles n'étaient certes pas dépourvues de courants d'air qui pénétraient partout. De plus, il y avait des rats, avec leurs courses folles le long des trente-deux arêtes de la pièce, à moins qu'il n'y eût qu'un unique rat le long d'une unique arête, visible des huit pièces à la fois, qui entrait par un trou et sortait par un autre ; mais cette sortie était aussi une entrée si bien que toute cette galopade de rats faisait aussi penser à l'un de ces finales de quatuor de Beethoven particulièrement mouvementés. À un certain moment, Corfo s'était réfugié à l'intérieur d'une de ces portes : il s'était probablement évanoui de froid, dans cette porte, ou de fatigue, ou de faim, ou des trois maux à la fois. Après quoi, il ne se souvenait plus de rien : il savait seulement qu'il était revenu à lui sur un autobus de la ligne 95, sans ticket, et qu'il avait dû rentrer chez lui en taxi.

(J. Rodolfo Wilcock, Le Stéréoscope des solitaires)
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15 juillet 2007

Kasaï

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Un chandelier et deux cuillers.


J'ai passé les portes du froid
Les portes de mon amertume
Pour venir embrasser tes lèvres

Ville réduite à notre chambre
Où l'absurde marée du mal
Laisse une écume rassurante

Anneau de paix je n'ai que toi
Tu me réapprends ce que c'est
Qu'un être humain quand je renonce

À savoir si j'ai des semblables.

(Paul Eluard, Lingères légères)
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14 juillet 2007

Nouvelle route

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Départ aux abords de la chaussée.


Une piste de chasse, vraiment ? ce chemin dur, rectiligne, qui coupe tous les sentiers, toutes les routes, d'un bout de l'horizon à l'autre ; que ne détourne aucune haie, aucune limite de champ, qui tient sans hésitation, sans la plus faible coudure, la plus haute arête du pays ; plus droit qu'une voie ferrée lancée d'un seul jet sur le territoire ? Un chemin pour les cavaliers en habit rouge, les piqueurs et les meutes (avec sauts d'obstacles, — c'est le cas de le dire, — à tout bout de champ) ? Non, mais la Fosse-Way. Étroite et profondément bâtie, cinq assises, dans le sol, véritable mur construit dans la terre et sur lequel on peut marcher, on a marché, pendant des siècles sans l'user. Préfiguration en effet de la voie ferrée, visible idée de la vitesse ; route rigide et sans arrêt, route de la civilisation qui ne saurait s'attarder, perdre une minute, s'habituer au paysage, devenir provinciale, paresseuse, s'attendrir en chemin d'amoureux sur les rives de l'Avon, mais précipitée tout droit devant elle-même, comme une grande locomotive, comme la foudre domestiquée ! Incontestablement ce qu'il y a ici de plus intentionnel, de plus humain dans sa victoire sur la matière, de plus moderne, et en avance de combien de siècles sur ces routes sinueuses, sur la route de Banbury attardée dans son idylle ? La route romaine ; le vol de l'aigle.

(Valery Larbaud, Le Moulin d'Inigo Jones)
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13 juillet 2007

Plus de raiponce

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Tresses sans fin.


Avec toutes les richesses de ses ténèbres,
L'oiseau, le bleu, l'Oiseau bleu quelquefois
Se posait doucement, longuement sur le doigt
Que je lui tendais de ma plus haute fenêtre.

Il allait parler. Je sentais la confidence
Qu'il me gazouillerait très très bas à l'oreille
Mais il se taisait et je goûtais la merveille,
Le délice de tout savoir de son silence.

Je pouvais m'enfoncer au plus noir de ma tour
En serrant dans mes os ce toucher musical
Ce frôlement d'une aile bleue, haute, fatale...
Et c'était comme la chaleur d'un fort amour.

(Norge, Les Hauts Cris)

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12 juillet 2007

Il fait froid dehors

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Métaphore, gibier enfin débusqué.


J’ai rêvé, l’autre soir, d’îles plus vertes que le songe… Et les navigateurs descendent au rivage en quête d’une eau bleue ; ils voient ― c’est le reflux ― le lit refait des sables ruisselants : la mer arborescente y laisse, s’enlisant, ces pures empreintes capillaires, comme de grandes palmes suppliciées, de grandes filles extasiées qu’elle couche en larmes dans leurs pagnes et dans leurs tresses dénouées.

(Saint-John Perse, Amers)
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