30 juin 2005

Cerises et chèvrefeuille

HODIE

Appendice de papier.


Celui qui, sourd au monde,
S'enivre de connaissances
En voyant dans les pages
Passer vraiment le rire et les rives
De ses premiers amis ruisseaux,
Si frais qu'il y rafraîchit ses doigts,
Il retrouve, lorsqu'il met la tête dans les fougères
La source des livres ;
Et les lettres grisonnantes des eaux de fontaine
Et les gouttes qui font la pluie calme dans les livres
Lui sont le même repos
Mouillé d'enfance du monde.

Et sa tête, même fatiguée, ne logera pas fatigue.

(Armand Robin, Le Monde d'une voix)

29 juin 2005

Alcool fort

HODIE

Le temps qu'il m'a fallu pour ne plus considérer « Claudel » comme un gros mot !


Je t'ai vaincue enfin ! et voici toute la proie contre mon coeur, et pas un membre luttant
Qui ne cède à un membre plus fort, et à la volonté de l'oiseau qui monte et de l'aigle vertical !
Je sens le poids qui cède à l'aile et j'emporte donc avec moi ce corps lourd
Qui est ma mère et ma soeur et ma femme et mon origine !
La voici enfin consommée
La victoire de l'homme sur la femme et l'entrepossession
De l'égoïsme et de la jalousie
Tu dis joie ? Mais voici la joie qui est au-dessus de la joie, comme le feu qui devient la flamme et le désir qui devient la justice, et l'amour qui devient l'acceptation.
Et notre mariage en nous
Comme l'opération d'un astre et comme un être qui se sert de son double coeur !

(Paul Claudel, Le Partage de midi)

28 juin 2005

Châter tout l'été

HODIE

On peut aussi les imaginer sous le soleil exactement...

C’était sur un chemin crayeux
Trois châtes de Provence
Qui s’en allaient d’un pas qui danse
Le soleil dans les yeux.

Une enseigne, – au bord de la route,
– Azur et jaune d’œuf –,
Annonçait : Vin de Châteauneuf,
Tonnelles, Casse-croûte.

Et, tandis que les suit trois fois
Leur ombre violette,
Noir pastou, sous la gloriette,
Toi, tu t’en fous : tu bois...

C’était trois châtes de Provence,
Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
Dans un azur immense.

(Paul-Jean Toulet, Contrerimes)

27 juin 2005

Un début

HODIE

Que sera-ce dans sept ans ?


Mon amour ma clarté ma mouette mon long cours
depuis dix ans je t'aime et par toi recommence
me change et me défais m'accrois et me libère
mon amour mon pensif et mon rieur ombrage
en t'aimant j'ouvre grand les portes de la vie
et parce que je t'aime je te dis

Il ne s'agit plus de comprendre le monde
il faut le transformer

Je te tiens par la main
la main de tous les hommes.

(Claude Roy, Un seul poème)

26 juin 2005

Étanche

HODIE

Quel est le goût de l'air sur cette planète ?


JE n'avais encore rien « senti »
JE dormais comme un coquillage
JEtais un coquillage
Les Signes pleuvaient autour de moi
Aucun n'entrait en moi
J'étais trop dur
Mais le sentiment de la vie commandait
Il fallait absolument ouvrir une porte
Et JE ne pouvais pas.

(Catherine Pozzi, Je dormais)

25 juin 2005

Balises

HODIE

Dénotation, connotation, et sables mouvants.


La liberté d'expression est évidemment dépendante de l'état de la langue. Apparemment, je peux dire ce que je veux, mais en réalité je ne peux le faire que dans les limites de cet état -- état que l'usage courant de la langue nous dissimule. Les mots semble-t-il sont là, toujours égaux à eux-mêmes. On s'en sert si spontanément, et ils sont à notre disposition si naturellement qu'on ne saurait les soupçonner. Ils sont une monnaie qui ne semble pouvoir être fausse, en tout cas dans ces espèces. Comment donc apercevoir la sensure ? Il est vrai que les mots sont les mots et que la sensure ne s'insinue que dans le jeu de leur signifié, mais les mots dont on a abusé abusent à leur tour. D'où, à ce point, l'apparition d'une nouvelle ambiguïté : la sensure qui agit sur nous à travers les mots (alors que la censure agit à travers nous contre les mots) agit par ailleurs sur les mots avec un effet de sensure : elle oblitère leur signifiant, c'est-à-dire leur matière, leur corps. Ainsi découvre-t-on que l'ordre moral vise à raturer en tout être, en toute choses, sa matérialité.

(Bernard Noël, L'outrage aux mots)

24 juin 2005

René

HODIE

Petite graine patiente, ton heure est venue.


Il y avait un charme puissant à se tenir là, si longtemps après que minuit avait sonné aux églises de la terre, sur cette gâtine sans lieu épaissement saucée de flaques de brume et toute mouillée de la sueur confuse des rêves, à l'heure où les vapeurs sortaient des bois comme des esprits. Quand il faisait signe de la main à Hervouët, et que tous deux un moment suspendaient leur souffle, le grand large des bois qui les cernait arrivait jusqu'à leur oreille porté sur une espèce de musique basse et remuée, un long froissement grave de ressac qui venait des peuplements de sapins du côté des Fraitures, et sur lequel les craquements de branches au long d'une brisée de bête nocturne, le tintement d'une source, ou parfois un aboi haut qu'excitait la lune pleine montaient par instants de la cuve fumante des bois. À perte de vue sur la garenne vague flottait une très fine vapeur bleue, qui n'était pas la fumée obtuse du sommeil, mais plutôt une exhalaison lucide et stimulante qui dégageait le cerveau et faisait danser devant lui tous les chemins de l'insomnie. La nuit sonore et sèche dormait les yeux grands ouverts ; la terre sourdement alertée était de nouveau pleine de présages, comme au temps où on suspendait des boucliers aux branches des chênes.

(Julien Gracq, Un balcon en forêt)

23 juin 2005

Une feuille sèche

HODIE

L'arbre se souvient-il des feuilles du printemps passé ?




En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps.

(René Char)

22 juin 2005

Catastrophe

OLIM

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô aliénation !


Pour Croc-Blanc, c'était le commencement de la fin, de la fin de son ancienne vie et du règne de la haine. Une autre existence, immensément belle, était pour lui à son aurore. Il faudrait sans doute, de la part de Weedon Scott, beaucoup de soins et de patience pour la réaliser. Car Croc-Blanc n'était plus le louveteau, issu du Wild farouche, qui s'était donné Castor Gris pour seigneur, et dont l'argile était prête à prendre la forme quon lui destinerait. Il avait été formé et durci dans la haine ; il était devenu un être de fer, de prudence et de ruse. Il lui fallait maintenant refluer tout entier sous la pression d'une puissance nouvelle qui était l'Amour.

(Jack London, Croc-Blanc)

21 juin 2005

Les joies de l'astronome

OLIM

Le mot qui claque de jubilation intense...


Jérimadeth
Ville du Proche-Orient, de quatre pieds de long, célèbre pour son calme la nuit. Son nom rime avec la troisième personne de l'imparfait des verbes du premier groupe. On ne possède aucune autre information sur cette ville.

(Alberto Manguel, Dictionnaire des lieux imaginaires)



Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l'œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.

(Victor Hugo, La Légende des siècles)

20 juin 2005

Pour un faux nounours

HODIE

Grâce à un faux ours.


I SONNET
AVEC LA MANIÈRE DE S’EN SERVIR
Réglons notre papier et formons bien nos lettres :

Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : - on en suit quatre, en long ;
A chaque pieu, la rime - exemple : chloroforme.
- Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

- Télégramme sacré - 20 mots. - Vite à mon aide...
(Sonnet - c'est un sonnet -) ô Muse d'Archimède !
- La preuve d'un sonnet est par l'addition :

- Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! - Tenons Pégase raide :
"Ô lyre ! Ô délire ! Ô ..." - Sonnet - Attention !

(Tristan Corbière, Amours jaunes)

19 juin 2005

THE DANSANT

HODIE

Je me souviens d'exsanguino-transfusion.


Je me souviens que j'étais fier de connaître et d'utiliser, relativement tôt, des mots et des expressions comme « à la rescousse », « estafette », « caducée », « dès potron-minet ».

Je me souviens de la surprise que j'ai éprouvée en apprenant que
« cow-boy » voulait dire « garçon vacher ».

Je me souviens que le mot robot est un mot tchèque, inventé, je crois, par Carel Capek.

Je me souviens du mal que j'ai eu à comprendre ce que voulait dire l'expression « sans solution de continuité ».

(Georges Perec, Je me souviens)

18 juin 2005

Credo

HODIE

Le bon vieux Vrai, tel un bloc de béton à mes chevilles.


Il s'habitue si bien au joug
des certitudes et à se
déprendre de tout qu'en rue
il passe pour serviable, en
amour pour loyal, en affaires
pour habile et en justice
pour innocent. Mais ceux qui
le côtoient en rêve voient
à la place de son visage un
dé qui tournoie dans le vent
et qui ne retombe jamais.

(Karel Logist, Ciseaux carrés)

17 juin 2005

Murs blancs

HODIE

Y promener ma bulle ?


16 juin 2005

Vertigineux dictionnaires

HODIE

En route vers de nouvelles aventures


Ils se demandent ce que signifie tel mot de leur langue, qu'ils viennent de prononcer mais sans comprendre pourquoi, tant l'acception en semble imprévue, tant la phrase où il a paru en est restée ambiguë, incertaine, obscure. Mais ils savent également, dès cet instant où un mot a ainsi déçu leur attente, que ce ne fut pas un lapsus, un simple accident que l'on pourra oublier, car nombreux sont les vocables, parmi même les plus usuels, qui ont changé de sens de cette façon, révélant dans leur profondeur tout un inconnu -- et peut-être toute une vie -- que les plus grands lettrés n'ont jamais pu pressentir que maladroitement, comme en rêve. Nombreux, ces mots qui changent ? En vérité, c'est presque toute la langue qui est parcourue de frissons, sinon ravagée de séismes. Si certains mots, les uns courants, d'autres rares, n'ont jamais avancé qu'une seule proposition, qui du coup en semble obstinée, en devient suspecte, la plupart des autres ne cessent pas de se métamorphoser, de se dédoubler -- et de jouer ainsi, dirait-on, avec eux-mêmes, puisque le sens premier se maintient auprès des emplois nouveaux, parfois, et peut même les effacer, au moins pour de longs moments après l'époque de crise.

(Yves Bonnefoy, Remarques sur la couleur)

15 juin 2005

Pas de pis cuit au menu

OLIM

Maison en miroir et tomates vertes.


PÈRE UBU -- De par ma chandelle verte, me voici roi de ce pays. Je me suis déjà flanqué une indigestion et on va m'apporter ma grande capeline.
MÈRE UBU -- En quoi est-elle, Père Ubu ? car nous avons beau être rois, il faut être économes.
PÈRE UBU -- Madame ma femelle, elle est en peau de mouton avec une agrafe et des brides en peau de chien.
MÈRE UBU -- Voilà qui est beau, mais il est encore plus beau d'être rois.
PÈRE UBU -- Oui, tu as eu raison, Mère Ubu.
MÈRE UBU -- Nous avons une grande reconnaissance au duc de Lithuanie.
PÈRE UBU -- Qui donc ?
MÈRE UBU -- Eh ! le capitaine Bordure.
PÈRE UBU -- De grâce, Mère Ubu, ne me parle pas de ce bouffre. Maintenant que je n'ai plus besoin de lui, il peut bien se brosser le ventre, il n'aura point son duché.

(Alfred Jarry, Ubu roi)

14 juin 2005

Double vai

OLIM

Impayables, ces Français !


Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets !

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit...
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

(Gérard de Nerval, Fantaisie)

13 juin 2005

Méthode Coué

HODIE

Un don quotidien : troublant. Une promesse.


Croire que « tout a été dit » et que « l’on vient trop tard » est le fait d’un esprit sans force, ou que le monde ne surprend plus assez. Peu de choses, au contraire, ont été dites comme il le fallait, car la secrète vérité du monde est fuyante, et l’on peut ne jamais cesser de la poursuivre, l’approcher quelquefois, souvent de nouveau s’en éloigner. C’est pourquoi, il ne peut y avoir de répit à nos questions, d’arrêt dans nos recherches, c’est pourquoi nous ne devrions jamais connaître la mort intérieure, celle qui survient quand nous croyons, à tort, avoir épuisé toute possibilité de surprise. Si nous cédons à ce désabusement, bien proche du désespoir, c’est que nous ne savons plus voir ni le monde en dehors de nous, ni celui que nous contenons, c’est que nous sommes inférieurs à notre tâche ; et nous n'avons pas le droit d'en faire le reproche "à la Vie ", au "Destin " ou à rien, qu'à nous seuls.
Quiconque s’enfonce assez loin dans sa sensibilité particulière, quiconque est assez attentif à la singularité de son expérience propre, découvre des régions nouvelles ; et il comprend aussi combien il est difficile de décrire à d’autres les pas effrayés ou enchantés qu’il y fait.

(Philippe Jaccottet, Tout n'est pas dit)

12 juin 2005

Sourire retrouvé

HODIE

Comment va ma fille ?


Vieil Homme, j'entre à voix basse dans ta vie
Sans frapper. Je ne suis rien dans ta maison,
Ni ta soeur, ni ton épouse, ni ta mie,
Rien... Celle sans toi que les étoiles ont
Accordée à ton passage, ta prochaine
Dont ton heure est l'heure et ta peine, la peine.
Repose... Tous lieux s'éloignent... il est tard --
Ton âme a besoin de ton âme autre part...
Il est temps. Partons ensemble, Vieil Homme,
Où mon chant te mène, où me suit ton somme.

(Marie Noël, Chants du dernier temps)

11 juin 2005

Séduction

HODIE

Il faut. Tu dois.


Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée. Je suis celui qui a le mieux repéré la minute de ses plus intimes, de ses plus insoupçonnables glissements. Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée. Je suis celui qui connaît les recoins de la perte.

(Antonin Artaud, Le Pèse-Nerfs)

10 juin 2005

Miel carotte

OLIM

On bè rossè n'est nin laid.


Et maintenant je la regrette
cette enfant au front sérieux,
qui pour être un peu plus secrète
mettait son bras nu sur ses yeux.

(Paul Géraldy, Toi et Moi)

09 juin 2005

Inventaire

HODIE

Le feu, le fil, le fantôme, la vie. Femme de...


Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantaume sans os :
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.

(Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène)

08 juin 2005

Cliché

HODIE

Ne bougeons plus, souriez !


Un homme peut, s'il est vraiment sage, jouir sur une chaise, de tout le spectacle du monde, sans savoir lire, sans parler à personne, en n'utilisant que ses sens, à la condition que son âme ne soit jamais triste.

(Fernando Pessoa, Fragments d'un voyage immobile)

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Autour de l'arbre immobile
l'ombre qui tourne
dessine sur le sol
le mouvement du jour.

C'est l'amorce d'un cercle parfait
et tous les cercles se ressemblent

mais toutes les feuilles
sont différentes.

(Jean Tardieu, Ordre et désordre)

***********

D'où la qualité essentielle de cet être, libéré à la fois de tous soucis domiciliaires et alimentaires par la présence à son entour d'une ressource infinie d'aliments : L'immobilité.

Francis Ponge, Le Parti pris des choses)

06 juin 2005

Défi ancien

OLIM

Autre, fascinant et généreux. Georges


Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thais,
Qui fut sa cousine germaine,
Écho parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté ot trop plus qu'humaine.
Mais où sont les neiges d'antan ?

Où est la très sage Hélois,
Pour qui châtré fut et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint Denis ?
Pour son amour ot cette essoyne.
Semblablement où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

La roine Blanche comme un lis
Qui chantait à voix de seraine,
Berthe au plat pied, Bietrix, Aliz,
Haremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu'Anglois brulèrent à Rouen ;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ne de cet an,
Qu'à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d'antan ?

(François Villon, Ballade des dames du temps jadis)

05 juin 2005

Excrétion

HODIE

Articuler les nervures, insérer le limbe, farder. Apprécier, froisser. Ouf !


Ou plutôt, et c'est bien pire, rien de monstrueux par malheur: malgré tous leurs efforts pour « s'exprimer », ils ne parviennent jamais qu'à répéter un million de fois la même expression, la même feuille. Au printemps, lorsque, las de se contraindre et n'y tenant plus, ils laissent échapper un flot, un vomissement de vert, et croient entonner un cantique varié, sortir d'eux-mêmes, s'étendre à toute la nature, l'embrasser, ils ne réussissent encore que, à des milliers d'exemplaires, la même note, le même mot, la même feuille.

L'on ne peut sortir de l'arbre par des moyens d'arbre.

(Francis Ponge, Le Parti pris des choses)

04 juin 2005

Vivre avec moi

Tu étais là

Gris
Lyrique
Tragique
Prolixe
Aimant
Affamé
Définitif

J'ai changé je dors en viens là.

Ah ! l'affreux réveil dans le cocon rétabli.

.

03 juin 2005

Une langue grêle

OLIM

La quête du participe.


Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de brouderye,
De soleil luyant, cler et beau.

Il n'y a beste, ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crye:
Le temps a laissié son manteau!

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent en livree jolye,
Gouttes d'argent d'orfaverie,
Chascun s'abille de nouveau:
Le temps a laissié son manteau.

(Charles d'Orléans, Rondel)

02 juin 2005

Geisha déjà

OLIM

Dison... Disons qu'il faudra un jour prendre le chemin des Syrtes.


Je songe à ce village assis au bord des bois,
Aux bois silencieux que novembre dépouille,
Aux studieuses nuits, et près du feu je vois
Une vieille accroupie et filant sa quenouille.

Toi que j'ai rencontrée à tous les carrefours
Où tu guidais mes pas, mélancolique et tendre,
Lune, je te verrai te mirant dans le cours
D'une belle rivière et qui commence à prendre.

(Jean Moréas, Stances)

01 juin 2005

Miroir vénéneux

OLIM

Une tente de bédouins aux mâts de papier.


Ce fut seulement à partir de cette date que la chambre prit le large. Son envergure était plus vaste, son arrimage plus dangereux, plus hautes ses vagues. Dans le monde singulier des enfants, on pouvait faire la planche et aller vite. Semblable à celle de l'opium, la lenteur y devenait aussi périlleuse qu'un record de vitesse.

...

Ils ouvrirent le journal. Il contenait, revêtue d'un de ces papiers de Chine, qui se déchirent comme l'ouate, une boule sombre de la grosseur du poing. Une entaille montrait une plaie brillante, rougeâtre. Le reste était terreux, d'une manière de truffe, répandant tantôt un arôme de motte fraîche, tantôt une odeur puissante d'oignon et d'essence de géranium.

(Jean Cocteau, Les Enfants terribles)