25 juin 2005

Balises

HODIE

Dénotation, connotation, et sables mouvants.


La liberté d'expression est évidemment dépendante de l'état de la langue. Apparemment, je peux dire ce que je veux, mais en réalité je ne peux le faire que dans les limites de cet état -- état que l'usage courant de la langue nous dissimule. Les mots semble-t-il sont là, toujours égaux à eux-mêmes. On s'en sert si spontanément, et ils sont à notre disposition si naturellement qu'on ne saurait les soupçonner. Ils sont une monnaie qui ne semble pouvoir être fausse, en tout cas dans ces espèces. Comment donc apercevoir la sensure ? Il est vrai que les mots sont les mots et que la sensure ne s'insinue que dans le jeu de leur signifié, mais les mots dont on a abusé abusent à leur tour. D'où, à ce point, l'apparition d'une nouvelle ambiguïté : la sensure qui agit sur nous à travers les mots (alors que la censure agit à travers nous contre les mots) agit par ailleurs sur les mots avec un effet de sensure : elle oblitère leur signifiant, c'est-à-dire leur matière, leur corps. Ainsi découvre-t-on que l'ordre moral vise à raturer en tout être, en toute choses, sa matérialité.

(Bernard Noël, L'outrage aux mots)

Aucun commentaire: