30 septembre 2005

Images autocollantes

HODIE

Une malle au grenier, des éclats de passé, et tout au fond une glace verdie, floue et peuplée.


C'est une maison dorée, presque un petit château
enrubanné d'étoiles.
On ouvre une fenêtre
chaque jour avant Noël,
il y a des surprises derrière,
dit la mère.
Puis elle jette l'oiseau de l'enfant contre le mur
et des étoiles de sang percent d'autres fenêtres
rouges.

C'est un fauteuil bleu pâle
où le père est assis
où le chat fait ses griffes
et le chien vient frotter
son museau maculé.
C'est des portraits d'ancêtres
qu'on encadre sans fin,
c'est une pipe qui s'éteint,
un café toujours froid,
un homme solitaire
dont jamais on ne rêve
car il n'existe pas.

C'est une soeur bizarre
qui joue de l'orphéon.
C'est un frère qui jamais
ne dit ni oui ni non,
il boit un café froid
et sa pipe s'éteint
sur des dents déjà noires,

c'est une soeur bizarre
qui n'aime pas les garçons.

Miroirs, miroirs, miroirs.

(Caroline Lamarche, in La Poésie francophone de Belgique)

29 septembre 2005

Emprunts

HODIE

Lu. À rapporter à la bibliothèque.


Je suis une page blanche sous ta plume.
J'accepte tout. Je suis une page blanche.
Je garde tout ton bien précieux,
Je le cultive pour te le rendre au centuple.

Je suis le village, je suis la terre noire.
Tu m'es pluie et soleil.
Tu es Maître et Dieu et moi ─
Tchernoziom et papier blanc !

(Marina Tsvétaïéva, Le Ciel brûle)

28 septembre 2005

Équilibre

HODIE

Un nuage, une cheminée, un roc, un cratère ?


Devant nous, une nostalgie déposée par les fleurs.
Derrière, l'imperceptible trace
d'une innocence balayée
par les vents.
Et, à l'endroit précis où nous posons le pied,
l'immensité du silence.

(Mimy Kinet, in L'Arbre à Paroles n° 96)

27 septembre 2005

Sieste

reproches, indignation, supplications, responsabilité
Pourquoi ?
dérobade, épreuve, repos, relaxer
Non.
évasion, puits gris-noir, friable
Éveil

26 septembre 2005

Psychomorphe

HODIE

Passer du vous au tu, et même au je ; et prendre la tangente.


Hier, j'ai rouvert une grammaire latine et une algèbre. Et comme une surprise, comme si ces couvertures de carton étaient le couvercle de la boîte de Pandore, mon passé en a jailli. Non point ses maux : ses vertus. Quel goût sain et profond avait cette tâche quotidienne, pour enfantine qu'elle ait été... Sans avoir jamais eu qu'un frottis d'art et de science sur le cerveau, j'avais voulu m'enrôler dans les régions qui servent la connaissance ; je ne savais au juste lesquelles, médecine, sciences physiques, ou l'érudition qui démêle les textes. J'avais trente-six ans.
C'était à Montpellier pendant la guerre (1917-18). Mais les légions du Savoir ne s'ouvrent pas aux volontaires simples et sans grades... À trente-six ans, j'ai passé mon premier baccalauréat.
Il a fallu plus de volonté qu'il ne semble : apprendre ce que je n'avais jamais appris, me durcir contre le ridicule. Bon vent, belle route... Seconde sur tous les candidats de la session et quatre-vingt-sept points d'avance...
Et quelques mois après (ivre de sinus et de cosinus) (piaffant vers les sommets intelligibles comme si je devais les atteindre d'un galop), je rencontrai cet homme-ci. Tout finit alors. Portes fermées en Olympe. Durant chaque année qui suivit, je ne m'appliquai plus que sur son oeuvre. Voici trois ans, non, presque quatre, que je ne pense plus que vous.
Et je suis changée en cette femme que vous êtes au moment de dédaigner parce qu'elle est infiniment moins intense et moins vivante que la femme d'alors. Très remarquable aventure ! Je comprends tout. Il ne me manquait que ces livres d'étude, et le passé qu'ils retenaient, pour donner la solution de la question si choquante qu'il y a dix jours, à Paris, je me suis posée ; quand, trouvant entre mes lettres ces notes sur moi-même écrites de votre main de Lionardo, j'ai pu mesurer la différence humiliante entre l'intelligence que je crois être et l'opinion qu'il en a...
C'est lui qui a raison. Je ne suis plus qu'une velléitaire aux expéditions de l'esprit. Il ne m'a jamais vue me courber sous une discipline, comme je faisais jadis.
Je suis devenue, en ce qui est des nourritures invisibles, un oiseau qui prend la becquée. J'existe, depuis 1920, sur les miettes qu'il me passe ; je ne consomme que ce qu'il a trouvé. Et comme cela se lit, dans le manuel brun de Sciences naturelles, je suis en état de régression.
C'est tellement logique que c'est amusant.

(Catherine Pozzi, Journal 1913-1934)

25 septembre 2005

Ramasse ton bâton, pèlerin

HODIE

Et chausse tes lunettes.


Au commencement de mes études la première étape me plut tellement,
Ce simple fait de la conscience, nos formes, notre puissance de mouvement,
Le moindre insecte, animal, les sens, la vue, l'amour,
Oui l'étonnement du plaisir me pénétra d'une telle vénération
Que je n'ai pratiquement plus voulu avancer plus loin,
Je me suis arrêté, j'ai baguenaudé, j'ai chanté le chant de mon extase.

(Walt Whitman, Feuilles d'herbe)

24 septembre 2005

Pain quotidien

HODIE

Volupté d'araignée.


On se lasse de tout, sauf de comprendre. Le sens de cette phrase est parfois difficile à saisir.
On se fatigue de penser pour parvenir à une conclusion, car plus on pense, analyse et distingue, et moins on parvient à une conclusion.
On tombe alors dans une telle inertie que tout ce qu'on demande, c'est de bien comprendre ce qui a été exposé ─ une attitude d'esthète, car on veut comprendre sans être réellement intéressé, sans se soucier de savoir si ce que l'on a compris est vrai ou non ; sans rien voir d'autre, dans ce que l'on a compris, que la façon exacte dont tout cela a été présenté, et le statut de beauté rationnelle qu'elle assume de ce fait.
On se lasse de penser, d'avoir des opinions personnelles, de vouloir penser pour agir. On ne se lasse point, cependant, d'adopter, même transitoirement, les opinions d'autrui, dans le seul but d'éprouver leur influence, sans pour autant céder à leur impulsion.

(Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité)

23 septembre 2005

Piège et délice

HODIE

Entre le mot et la chose, l'abîme est irréductible, envoûtant, et si ténu.


Que les choses telles que nous les distinguons, reconnaissons -- et telles que nous les aimons -- que les phénomènes du monde physique, du monde dit extérieur, soient déjà des mots : voilà ce qui ne fait pour moi aucun doute.
Nous ne les aimons, ne nous extasions devant elles que dans la mesure où nous les re-connaissons. Le mouvement (l'émotion) qui se fait en nous (qu'elles suscitent en nous) et qui nous les fait à la fois re-connaître comme semblables à leur nom et connaître (avec surprise) c.à.d. découvrir comme différentes de leur nom, qui nous fait, par conséquent désirer les nommer mieux se « traduit », en fait, par une attention redoublée à leur nom, qui serait tout simplement à rendre à sa signification première (ou complète), afin de le rapprocher à nouveau de la chose, conçue dans son épaisseur et sa différence véritables : celles qui la caractérisaient quand elle fut nommée pour la première fois, celles qui provoquèrent le besoin, le désir de la nommer.
En somme, les choses sont, déjà, autant mots que choses et, réciproquement, les mots, déjà, sont autant choses que mots. C'est leur copulation, que réalise l'écriture (véritable ou parfaite) : c'est l'orgasme qui en résulte, qui provoque notre jubilation.
Il s'agit bien de les faire rentrer l'un dans l'autre : de n'y voir plus double : que les deux apparences se confondent (exactement) (ce qu'on appelle le registre en termes d'imprimerie).

Francis Ponge, Les Sentiers de la création)

22 septembre 2005

L

HODIE

À quoi pense-t-on un jour comme aujourd'hui ?


Encore que quelques phrases (et, par endroits, très nombreuses) soient intolérablement mal écrites, Proust dit toujours exactement ce qu'il veut dire. Et c'est parce qu'il y parvient si bien qu'il s'y complaît. Tant de subtilité est, parfois, complètement inutile ; il n'y fait que céder à un maniaque besoin d'analyse. Mais souvent cette analyse l'amène à d'extraordinaires trouvailles. Je le lis alors avec ravissement. Il me plaît même que la pointe de son scalpel s'attaque à tout ce qui se présente à son esprit, à son souvenir ; à tout et à n'importe quoi. S'il y a du déchet, tant pis ! Ce qui importe ici, ce n'est pas tant le résultat de l'analyse que la méthode. On suit des yeux, souvent, moins la matière sur laquelle il opère, que le travail minutieux de l'instrument, et que la patiente lenteur de son opération.

(André Gide, Journal 1938)


Sans doute est-il bon, est-il sage de se résigner lorsqu'on ne peut faire autrement ; et quant à moi, je ne suis nullement enclin à la révolte. Mais il est mauvais de ne pas y voir clair ; de ne pas comprendre ce que ce « retour à la terre » signifie.

(André Gide, Journal 1940)

08 septembre 2005

Pas de panique !

05 septembre 2005

Insomnie

HODIE

Aller-retour sans réservation.



Papillon d'argent, pose-toi, là, sur ma tempe, en haut de l'homme ; toi, clair de lune, fais en somme d'errer un peu partout sur moi,

Cherche mon âme. Elle s'envole ? Elle est sur ma tempe, je crois. Je n'en suis plus sûr, elle est folle. Je crois qu'elle est folle de toi.

Cherche mon âme, clair de lune, ou bleu farfadet que je vois voltiger dans la fine brume de ma bouche autour de ma voix

murmurant : « Phébé !... », cherche donc, cherche mon âme autour de moi... plutôt ne cherche rien, dormons. Elle est dans la lune ─ chez toi.

Cependant que par la fenêtre, ouverte au grand soupir des hêtres, mon coucou vers la lune envoie une heure éternelle peut-être ?

une heure qui sonne une fois.

(Paul Fort, L'Aventure éternelle)

Insomnie

HODIE

Aller-retour sans réservation.



Papillon d'argent, pose-toi, là, sur ma tempe, en haut de l'homme ; toi, clair de lune, fais en somme d'errer un peu partout sur moi,

Cherche mon âme. Elle s'envole ? Elle est sur ma tempe, je crois. Je n'en suis plus sûr, elle est folle. Je crois qu'elle est folle de toi.

Cherche mon âme, clair de lune, ou bleu farfadet que je vois voltiger dans la fine brume de ma bouche autour de ma voix

murmurant : « Phébé !... », cherche donc, cherche mon âme autour de moi... plutôt ne cherche rien, dormons. Elle est dans la lune ─ chez toi.

Cependant que par la fenêtre, ouverte au grand soupir des hêtres, mon coucou vers la lune envoie une heure éternelle peut-être ?

une heure qui sonne une fois.

(Paul Fort, L'Aventure éternelle)

03 septembre 2005

Avec ses gros sabots

OLIM

Félicien, il y a une femme là-dessous.


Il avouait avec larmes avoir attisé par la braise des mets la furie de ses sens ; et, ces menus qu'il réprouvait, l'on peut aisément les rétablir ; à table avec Eustache Blanchet, Prélati, Gilles De Sillé, tous ses fidèles, dans la haute salle où sur des crédences posaient les plats, les aiguières pleines d'eau de nèfle, de rose, de mélilot, pour l'ablution des mains, Gilles mangeait des pâtés de boeuf et des pâtés de saumon et de brême, des rosés de lapereaux et d'oiselets, des bourrées à la sauce chaude, des tourtes pisaines, des hérons, des cigognes, des grues, des paons, des butors et des cygnes rôtis, des venaisons au verjus, des lamproies de Nantes, des salades de brione, de houblon, de barbe de judas et de mauve, des plats véhéments, assaisonnés à la marjolaine et au macis, à la coriandre et à la sauge, à la pivoine et au romarin, au basilic et à l'hysope, à la graine de paradis et au gingembre, des plats parfumés, acides, talonnant dans l'estomac, comme des éperons à boire, les lourdes pâtisseries, les tartes à la fleur de sureau et aux raves, les riz au lait de noisette, saupoudrés de cinnamome, des étouffoirs, qui nécessitaient les copieuses rasades des bières et des jus fermentés de mûres, des vins secs ou tannés et cuits, des capiteux hypocras, chargés de cannelle, d'amandes et de musc, des liqueurs enragées, tiquetées de parcelles d'or, des boissons affolantes qui fouettaient la luxure des propos et faisaient piaffer les convives, à la fin des repas, dans ce donjon sans châtelaines, en de monstrueux rêves !

(Joris-Karl Huysmans, Là-bas)

01 septembre 2005

Comment devenir humain

OLIM

Le bien, le mal, la morale, les larmes, l'absolu, et une jeune éponge.


Et il leur parla. Il n'existe pas de mots pour exprimer ce qu'il leur dit, aussi ne s'en servit-il pas. Ce qu'il avait à dire jaillit au fond de son âme dans un grand élan lyrique. Dans ce bref éclair de pensée étaient contenues toutes les pensées qui avaient sommeillé dans son esprit depuis vingt ans, et aussi tous ses livres, toute sa musique, toutes ses craintes, toutes ses joies, tous ses étonnements, toutes ses aspirations. Son message passa d'un cristal à un autre comme une traînée de poudre.
Il y parlait des magnifiques dents blanches de Zena et de sa voix musicale, et du jour où elle avait fait renvoyer Huddy, et de la courbe de sa joue et de la profondeur expressive de ses yeux . Il y parlait du corps de Zena, il énumérait les mille et une raisons qu'avait un être humain de la trouver belle. Il y parlait du chant éloquent de sa guitare d'enfant, de sa tendresse généreuse, du danger qu'elle n'avait pas craint d'affronter pour défendre cette forme de vie qu'un cristal lui avait déniée en la créant. Il décrivait sa nudité sans artifices ; il évoquait les larmes amères qu'elle tentait de dissimuler sous les clairs arpèges de son rire ; il rappelait ses souffrances et sa mort.
Et tout cela contenait une définition implicite de l'humanité. Il s'en dégageait une espèce de morale splendide qui formait la véritable base du principe de concurrence vitale. « Le premier impératif de survie s'exprime en fonction de l'espèce ; le suivant en fonction du groupe ; le dernier en fonction de l'individu. » Tout le bien, tout le mal, toute la morale, tout le progrès dépendent de l'ordre dans lequel on se conforme à ces trois impératifs. Si l'individu survit aux dépens du groupe, il met l'espèce en danger. Si le groupe entend survivre aux dépens de l'espèce il va manifestement au suicide. L'essence du bien et du mal réside là ; c'est de cette source que coule la justice pour l'humanité entière.
Il revint ensuite à Zena, à celle qui s'était volontairement sacrifiée pour l'humanité. Elle avait donné sa vie pour une caste étrangère et l'avait fait en se conformant à la plus haute des morales. Les idées de justice et de pitié n'avaient peut-être qu'une valeur relative, mais rien ne pouvait empêcher que sa mort, survenue alors qu'elle avait gagné le droit de survivre, ne fût, du seul point de vue esthétique, une faute.
Tout cela, malgré la maladresse, l'imprécision de nos pauvres mots humains était implicitement contenu dans l'unique phrase du message que Horty apportait aux cristaux.
Horty attendit.

(Théodore Sturgeon, Cristal qui songe)