30 juin 2006

Sept fléaux

HODIE

Des débuts flous.


Je ne dis à personne mon nom argentin. Je voyage dans une Cadillac volée. Je sais comment sortir de l'hôtel où je suis sans être vue. Je vois le monde comme un imbroglio, un enchevêtrement, un écheveau. J'aime cette grande vérité que disent les mensonges. Je suis une menteuse qui embrouille tout avec ses mensonges. Je vis à deux pas de la Synagogue du Transit. Je suis une menteuse mais je jure qu'il est vrai que nous avons gagné le Mondial, nous sommes allés voir le vieil homme pour lui dire que nous avions battus les Hollandais. Mais le vieil homme est juif, aveugle et espagnol. Impossible de vous croire, a-t-il dit. Que je sache, nous, nous n'avons jamais vaincu Spinoza, nous n'avons jamais vaincu le sage d'Amsterdam.

(Enrique Vila-Matas, Enfants sans enfants)

29 juin 2006

Humide

HODIE

Entre digitales et épilobes.




Tu gardes en toi
le sceau des fougères et des prèles,
le calque des écorces, étant
paume ouverte du temps
mémoire des ruches de la vie
où bourdonne encore en nos doigts
l'enfance des reptiles.

(Jacques Lacarrière, Lapidaire)

28 juin 2006

Le mien, pas le tien

OLIM

Les Quatre et un poussin.


Ton ombre est là, sur ma table,
Et je ne saurais te dire comment
Le soleil factice des lampes s'en arrange
Je sais que tu es là et que tu
Ne m'as jamais quitté, jamais
Je t'ai dans moi, au profond,
Dans le sang, et tu cours dans mes veines
Tu passes dans mon coeur et tu
Te purifies dans mes poumons
Je t'ai, je te bois, je te vis,
Je t'envulve et c'est bien
Je t'apporte ce soir mon enfant de longtemps,
Celui que je me suis fait, tout seul,
Qui me ressemble, qui te ressemble,
Qui sort de ton ventre,
De ton ventre qui est dans ma tête
Tu es la soeur, la fille, la compagne et
La poule de ce Dieu tout brûlant qui éclaire nos nuits
Depuis que nous faisons nos nuits
Je t'aime, je t'aime
Il me semble qu'on m'a tiré de toi
Et qu'on t'a sortie de moi
Quand tu parles je m'enchante
Quand je chante je te parle
Nous venons d'ailleurs, tous les deux.
Personne ne le sait.
Quand je mourrai tu ne pourras
Plus vivre que dans l'alarme
Tu n'auras plus un moment à toi
Tu seras mienne, par-delà
Le chemin qui nous séparera
Et je t'appellerai
Et tu viendras
Si tu mourais, tu m'appellerais
Je suis la vie pour toi, et la peine,
Et la joie, et la Mort
Je meurs dans toi, et nos morts
Rassemblées feront une nouvelle vie,
Unique, comme si deux étoiles se rencontraient,
Comme si elles devaient le faire de toute éternité,
Comme si elles se collaient pour jouir à jamais
Ce que tu fais, c'est bien, puisque tu m'aimes
Ce que je fais, c'est bien, puisque je t'aime
À ce jour, à cette heure, à toujours,
Mon Amour, mon Amour.

(Léo Ferré, La Lettre)

27 juin 2006

Chez Max

HODIE

Une turquoise séduisant un casse-noix.


Une boîte de corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait d'une carapace dure
Sur laquelle était écrit qu'à l'intérieur, comme elle, il était sans arêtes,
(Boneless and economical) ;
Et sous sa queue repliée
Il cachait vraisemblablement une clé destinée à l'ouvrir.
Frappé d'amour, le corned-beef sédentaire
Déclara à la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait à s'acclimater,
Près de lui, aux devantures terrestres,
Elle serait décorée de plusieurs médailles d'or.

(Alfred Jarry, Gestes et opinions du docteur Faustroll pataphysicien)

26 juin 2006

Tour et détours

HODIE

Spasme et fumée pour tout bagage.



Le loriot entra dans la capitale de l'aube.
L'épée de son chant ferma le lit triste.
Tout à jamais prit fin.

(René Char, Fureur et Mystère)

25 juin 2006

Gueule de bois

HODIE

Trop de petits drapeaux.


Invisibles regards qu'on sait qui nous verront,
Fumée où se dérobe une présence abstraite,
Les flambeaux ont noirci. Quel mystère s'apprête,
Qui met une sueur d'épouvante à mon front ?

(Paul-Jean Toulet, Les Contrerimes)

24 juin 2006

Silence

HODIE

Au moins comme ça.


Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.

(Paul Eluard, Capitale de la douleur)

23 juin 2006

Crampe

HODIE

Méfiez-vous des fleurs.


Une bête vint le chercher.
Il eut moins peur que de rester.

Ils eurent la porte à passer.
La porte en plus de la nuit.

Le garçon ferma les yeux.
Les mots ne parlèrent plus.

Quelque chose sur la route
Les prit alors en pitié

(Mohammed Dib, L'Enfant-jazz)

22 juin 2006

Élimination programmée

HODIE

Hi Blossom !


Au commencement, le corps est ouvert comme un oui. Quelle douceur ! Mais il s'y oublie. Qui parle ? fait-il en s'écoutant. Il remet de la peau. Il croit qu'en se doublant la résonnance sera meilleure. Il prend seulement goût à la doublure. Il l'aime tellement qu'il la lègue à sa descendance en affirmant : J'ai fait l'homme ; oui, c'est bien moi.

(Bernard Noël, Extraits du corps)

21 juin 2006

Rentraire

HODIE

Quelques fils noirs.


Et maintenant qui pourrait
déchiffrer ce signe,
reconstruire ce qui jamais ensuite ne fut vécu,
réanimer, inanimé, l'adieu.

(José Angel Valente, Intérieur avec figures)

20 juin 2006

Auberge de pèlerins

HODIE

Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as accueilli.


Combien sont-ils à attendre
— momies serrées dans leurs plaquettes
qu'une main d'eau lente ou fiévreuse
les sorte dans le grand vent et qu'ils affrontent
entre ciel et terre les dieux qu'ils crurent briser
et qui vont vifs dans l'air bleu du matin
Ceux qui jaunissent sans recours et ceux
qui cassent les dorures du temps
ceux qui ont tout perdu qui font le pied du meuble
et ceux qui traînent ouverts à toute heure
dans les pièces ensoleillées de la mémoire
les vainqueurs les vaincus auront un jour
même visage et même voix
l'envergure du milan sur le sillon
le profil du bouleau dans le soleil
et derrière la charmille l'inlassable chuchotement de la rivière
dont pas une voyelle ne se perd.

(Guy Goffette, Éloge pour une cuisine de province)

19 juin 2006

Collyre

HODIE

Un peu d'eau de bleuet dans un sourire.


D’où nous vient cet Œil
Qui capte les géographies
Entrelace océans et pierres
Amasse ombres et soleils
Brasse creux et crêtes
Qui nous accorde cette prunelle
Qui embrasse terres et visages
Qui survole ou s’attarde
Qui est source du regard
Qui nous octroie cette vue
Qui trace amour ou dédain
Désir comme épouvante
D’où émerge cet Œil
Qui nous offre l’univers
Où converge l’autre regard
Qui se détourne du monde ?

(Andrée Chedid, L’Œil)

18 juin 2006

Encore un effort

HODIE

Pour des larmes très douces.


Il y avait qu'il fallait détruire et détruire et détruire,
Il y avait que le salut n'est qu'à ce prix.

Ruiner la face nue qui monte dans le marbre,
Marteler toute forme toute beauté.

Aimer la perfection parce qu'elle est le seuil,
Mais la nier sitôt connue, l'oublier morte,

L'imperfection est la cime.

(Yves Bonnefoy, Hier régnant désert)

17 juin 2006

Mameyegeerpont

HODIE

D'amont en aval.



Allume la lampe
rivière verte.
Dis-moi quelque chose
du retour des ombres,
qui ont disparu
sans dire adieu
comme s'en vont
les pensées courbées.
Que me chuchoteras-tu
sous les gerbes des étoiles,
comment garderas-tu secret
le lendemain ?
Quelqu'un avec une épée
a coupé le temps
en hier et aujourd'hui
en été
et en fraîcheur.
Allume la lampe
rivière verte.
Dis-moi quelque chose
du retour des ombres.
Dieu est triste
et l'homme mauvais.
Que s'apaise
le temps infini.
Chacun un jour
a appelé sa rivière ;
Mais l'eau coule.
Et l'homme est
seul.

(Vesna Parun, La Pluie maudite et autres poèmes)

16 juin 2006

Quelle idée ?

OLIM

Quelle importance ?


Peut-être qu'j'suis fou et mes parties
Sont toujours éparpillées – les ai pas
ramassées quand la Forme passait
La fenêtre du donneur,
Alors je recherche le dérangement
Pour qu'il me ramène vers la terre
À travers l'air froid comme la lune de la logique
Où de l'eau partout
Apparaît des joyaux magiques
Et Asphasiax la Nymphe
de l'Inde près de la Mer
Danse princièrement minaudant
des jargots grincheux
Dans l'air oral & éloquent
des tentes
À dais majestiques
Dix mille Bouddhas
Se cachant partout –
Comment puis-je être fou
Même ici ?
– mais attends
Peut-être que j'suis Con-
Damné à être craché
Sur la pierre igloo
de Quelque Nord fou

(Jack Kerouc, Mexico City Blues)

15 juin 2006

L'herbe pousse

HODIE

Triste trio.


D'une carrière qui n'existe pas
j'ai extrait des pierres qui existent
et j'en ai fait un petit mur
pour mettre dessus rien qu'une parole,
une parole que je connais
mais ne peux prononcer.

Mon travail est à présent
de creuser son trou exact
dans ces pierres extraites
d'une carrière qui n'existe pas
pour que puisse la prononcer
le vent qui passe.

(Roberto Juarroz, Poésie verticale)

14 juin 2006

100

Petite feuille séchée, j'ai aimé ton sourire et le rose de tes joues.

13 juin 2006

Un peu de ménage

HODIE

Cherche métaphorivore à adopter.




— C'est quoi un grammasite ? demandai-je en surveillant nerveusement les parages au cas où la drôle de créature réapparaîtrait.
— Une forme de vie parasite qui vit à l'intérieur des livres et se nourrit de grammaire, expliqua Havisham. Je ne suis pas une experte, mais celui-ci m'avait bien l'air d'un adjectivore. Vous voyez le sabord dont il était en train de se gaver ?
— Oui.
— Décrivez-le-moi.
Je regardai le sabord et fronçai les sourcils. Je m'attendais à ce qu'il soit vieux ou foncé ou mouillé ou vermoulu, mais il n'était rien de tout cela. Il n'était ni vide ni stérile non plus. C'était un sabord, point barre.
— L'adjectivore se nourrit d'adjectifs qualificatifs mais normalement il laisse le sujet intact. Nous avons des verminators pour les combattre, mais il y a trop peu de grammasites dans Dickens pour causer de sérieux dégâts... pour le moment.

(Jasper Fforde, Délivrez-moi !)

12 juin 2006

Attelage

HODIE

L'amour, toujours


J'agite mes mots dans mes paragraphes comme un pinceau dans un godet. J'ai mis en branle autour de ces images une agitation irradiante, et chacune appelle ses voisines à l'aide pour retrouver mieux leur énergie commune ; ainsi le miroir déclare à la braise : « Venez vous dédoubler dans mes illusions, venez vous rafraîchir aux apparences de flammes que j'ai su vous emprunter » ; et celle-ci de répondre : « Venez vous ternir en sigles d'haleine, cher diseur d'aventure, venez palper votre avenir dans ma nuit rouge » ; ainsi cette déclaration murmure au baiser : « Venez m'accomplir » et celui-ci dans son silence la supplie de se renouveler.

(Michel Butor, Anthologie nomade)

11 juin 2006

Cascade

HODIE

Chair chimère sur un squelette trop permissif.


Le thème central évident des Mémoires posthumes de Braz Cubas est l'amour : la nature de l'amour, la persistance de l'amour, la disparition et la transformation de l'amour, la redécouverte de l'amour après qu'il a disparu, tout espoir envolé. En pensant aux femmes qu'il a aimées (Marcella l'Espagnole, sa soeur Sabina, sa Virgilia idéalisée), Braz Cubas dit qu'il se les rappelle « comme si ces noms et ces personnes n'étaient que différents aspects de mes affections intimes » — tout à fait comme Machado attend de ses lecteurs qu'ils reconnaissent sur la page les fantômes de leurs propres pensées et passions, tels les spectateurs de cette « chose très sérieuse » qu'est le théâtre.

Dans une certaine mesure, cela est vrai de tout livre que nous aimons. Nous pensons l'approcher de loin, voir s'ouvrir sa couverture protectrice et observer, bien installés à notre place dans l'auditoire, le déploiement de sa narration, et nous oublions à quel point la survie des personnages, la vie même du récit dépendent de notre présence en tant que lecteurs, de notre curiosité, de notre désir de nous rappeler un détail ou de nous étonner d'une absence, comme si notre capacité d'aimer avait créé à partir d'un fouillis de mots la personne qui est l'objet de l'amour.

Je ne sais pas encore vers quel livre les mots de Machado vont m'entraîner.

(Alberto Manguel, Journal d'un lecteur)

10 juin 2006

Petit renard

HODIE

Pour le brouillage, le métier.


Aller méditer dans le désert est chose banale ; la volupté rare, pour l'homme, c'est de s'isoler au milieu d'une mer de gestes et de paroles, de nerfs et de passions, de se déclarer étranger, inaccessible, absent. Le plus que l'on puisse dire, quand il revient à lui — c'est-à-dire quand il revient aux autres — c'est qu'il tombe de la lune, mais la lune, ce grenier lumineux et secret du cerveau, qu'est-ce sinon l'affirmation dédaigneuse de notre liberté spirituelle ?

(J.M. Machado de Assis, Mémoires posthumes de Brás Cubas)

09 juin 2006

Stop

HODIE

Cet élastique est décidément à toute épreuve.


Le temps certains jours me paraît d'une substance si épaisse, immobile et dense, que ni le corps ni la pensée ne parviennent à s'y mouvoir, comme s'immobilisent les feuillages des arbres certains midis de grosses chaleurs. Ne reste alors que la stupeur d'être là, pétrifié parmi les objets, fait de la même matière, incapable de s'alléger, englué dans son ombre.

(Jean-Michel Maulpoix, Boulevard des Capucines)

08 juin 2006

Silex

HODIE

Combien de temps pour la conversion en sable ?


Le mot « chaise » est immortel, ou « terre », ou « maison », mais ni mon nom, ni celui de mon amour. Combien de noms déjà ai-je fait mourir en les oubliant ? Les noms qui restent vifs ne cessent de créer le chemin de leur propre retour : ils sont des lambeaux de cette histoire que, enfants, nous voulions toujours entendre une fois de plus, et chacun d'eux est aussi le départ d'une nouvelle histoire, qui contiendrait déjà le souvenir de l'avenir.

(Bernard Noël, Le 19 octobre 1977)

07 juin 2006

Kip

HODIE

Mêlées au coassement des grenouilles


Tu vis à côté de moi, pareille à moi :
pierre
dans la joue effondrée de la nuit.

Ô cette pente, mon aimée,
où nous roulons sans faire de pauses,
nous les pierres
de rigole en rigole.
Plus rondes à chaque fois.
Plus semblables. Plus étrangères.

Ô cet oeil ivre
qui comme nous erre ici tout autour,
et parfois, étonné,
nous voit confondus.

(Paul Celan)

06 juin 2006

Viser la perfection

HODIE

Un bon vieux protocole égaré sous la paperasse.


Ajourne toute chose. On ne doit jamais faire aujourd'hui ce qu'on peut aussi bien négliger de faire demain.
Il n'est même pas besoin de faire quoi que ce soit, ni aujourd'hui ni demain.

Ne pense jamais à ce que tu vas faire. Ne le fais pas.

Vis ta vie. Ne sois pas vécu par elle.
Dans la vérité et dans l'erreur, dans le plaisir et dans l'ennui, sois ton être véritable. Tu n'y parviendras qu'en rêvant, parce que ta vie réelle, ta vie humaine, c'est celle qui, loin de t'appartenir, appartient aux autres. Tu remplaceras donc la vie par le rêve, et ne te soucieras que de rêver à la perfection. Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis l'acte de naître jusqu'à celui de mourir, tu n'agis vraiment : tu es agi ; tu ne vis pas, tu es seulement vécu.
Deviens aux yeux des autres un sphinx absurde. Enferme-toi, mais sans claquer la porte, dans ta tour d'ivoire. Et cette tour d'ivoire, c'est toi-même.
Et si l'on vient te dire que tout cela est faux, est absurde, n'en crois rien. Mais ne crois pas non plus ce que je te dis, car on ne doit croire à rien.
Méprise toute chose, mais de façon telle que ce mépris ne puisse te gêner. Ne crois pas que ton mépris te rende supérieur. Tout l'art du noble mépris est là.

(Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité)

05 juin 2006

Cher Aristote...

HODIE

À l'usage des veuves de toile.


En vérité, celui qui ne connaît pas la colère ne sait rien. Il ne connaît pas l'immédiat.
Puis la colère rencontre la patience lovée sur elle-même. Sitôt touchée, celle-ci se dresse et se confond avec celle-là, et fonce comme un obus et tout ce qu'elle rencontre elle le renie et le transperce.

(Henri Michaux, Lointain intérieur)

04 juin 2006

Au diable la littérature !

HODIE

Je t'écrirais peut-être.


Écrire, c'est dire quelque chose à quelqu'un qui n'est pas là. Qui ne sera jamais là. Ou, s'il s'y trouve, c'est nous qui serons partis.

(Georges Perros, Papiers collés 2)

03 juin 2006

Nuit

HODIE

Cauchemar


Lève-toi doucement, je te suivrai sans rien dire. Quelque chose d'immense par delà les murs nous appelle, quelque chose pour nous seuls commence où nous entrerons comme dans la mer. Côte à côte, le pas de nos chevaux brouillé par les façades ; côte à côte, leurs bonds dans l'herbe vivante et l'herbe morte, le fouaillement des ramures, le fin réseau d'ombres troué d'un seul saut ! Je verrai derrière toi l'horizon qui se cabre et retombe, transfiguré, un pays neuf, un ciel nouveau sourdre et fleurir autour de ton visage.

(Gustave Roud, Air de la solitude)

02 juin 2006

Trop

HODIE

Trop de regards qui glissent, de mains qui frémissent.


visage qui prend place
dans la longue suite

un plus précis plus près crispé
sur sa fin tellement rentré
dans son combat
que plus rien
même les yeux
fermés
derrière les lunettes

longue file de têtes
sans mots
pas mortes mais
au-delà d’un trop dur
à dire
une butée de langue
ou de corps
une falaise
une fatigue
et puis rien

visages figés perdus tandis
qu’autour toujours bruissent
radio télé web et portables

(Antoine Emaz, Je ne)

01 juin 2006

Vieille lampe

HODIE

Abandon de contrepoids.


Je me lève.
Je dois chercher, continuer.
Je m'accroche aux nuages.

C'est parfois comme si j'avais
perdu la parole
une parole qui me met hors de moi
je retourne dans mes pas
mais il n'y a plus que l'aile
et l'arbre
le lièvre.
Ce n'est plus qu'un courant qui
me passe dans la voix.
Je me retourne
pour apercevoir les oiseaux
mais le ciel n'est pas là

c'est le linge
le drap
comme si j'avais suivi une maison
une roue
un autre seau...

(Thierry Metz, Opales/pleine page)