30 septembre 2006

Pause

HODIE

Au passage des oies des moissons.


Nuit sur le Labrador
myriades d'oiseaux dans le demi-jour
posés apaisés
seuls quelques rares envols encore
là-bas ce passage de mouettes sabines

serait-ce une mort ?
ou le prélude à une autre vie ?

la question trop lourde
perturbe
ces ondes de silence
plutôt attendre
jouir de ce demi-jour

des langues de mer
des langues de mer venues du nord
remontant les baies et les fjords
lapant le roc archéen
diront le poème au-delà des questions

ils dorment
les canards les oies les pluviers
tous dorment
cette terre un immense sanctuaire

relâche
sur le long chemin des migrations

relâche

dans cette nuit
entre l'ancien Monde et le Nouveau
pénétrer plus loin
toujours plus loin
dans un monde
ni nouveau ni ancien

un monde
ni ancien ni nouveau
suivre jusqu'au bout
le chemin des oiseaux

l'aube point
dans le cri de l'oie sauvage

(Kenneth White, La Route bleue)

29 septembre 2006

Sous le signe de la musique

HODIE

Et du plaisir




Il y avait là trois machines (sans compter la mienne), toutes soigneusement encapuchonnées comme des éperviers de chasse. Les machines à écrire m'ont toujours mis mal à l'aise ; je ne peux croire qu'elles soient complètement inintelligentes. Quand elles font des fautes de frappe, surtout de celles qui ressemblent à des fautes d'orthographe, j'ai envie de cogner dessus. Il devrait leur être impossible de commettre au moins des barbarismes. De les voir là, au repos, poursuivant on ne savait quelle méditation lettriste sous leur couverture, je ne pouvais pas croire non plus qu'elles eussent laissé passer tant de textes à travers elles comme de l'eau à travers un tamis, sans rien en retenir. Sûrement elles possédaient quelque part une mémoire qu'on apprendrait un jour à dévider en marche arrière, remontant de caractère en caractère jusqu'au premier qu'elles eussent jamais frappé. Quelle source de renseignements ce serait pour les « romanciers » des deux sortes ! À imaginer pareille découverte, un frisson courut le long de mon dos, un frisson de curiosité et de désir, un tremblement d'amant (ou d'artiste) devant le mystère indéchiffrable d'autrui.

(Vladimir Volkoff, Le Retournement)

28 septembre 2006

Vertige d'Alice

OLIM

Dans un hexagone embrumé.


Ces exemples permirent à un bibliothécaire de génie de découvrir la loi fondamentale de la Bibliothèque. Ce penseur observa que tous les livres, quelque divers qu'ils soient, comportent des éléments égaux : l'espace, le point, la virgule, les vingt-deux lettres de l'alphabet. Il fit également état d'un fait que tous les voyageurs ont confirmé : il n’y a pas, dans la vaste Bibliothèque, deux livres identiques. De ces prémisses incontroversables il déduisit que la Bibliothèque est totale, et que ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c'est-à-dire tout ce qu'il est possible d'exprimer, dans toutes les langues. Tout : l'histoire minutieuse de l'avenir, les autobiographies des archanges, le catalogue fidèle de la Bibliothèque, des milliers et des milliers de catalogues mensongers, la démonstration de la fausseté de ces catalogues, la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, l'évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet évangile, le commentaire du commentaire de cet évangile, le récit véridique de ta mort, la traduction de chaque livre en toutes les langues, les interpolations de chaque livre dans tous les livres.
Quand on proclama que la Bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant. Tous les hommes se sentirent maîtres d'un trésor intact et secret. Il n’y avait pas de problème personnel ou mondial dont l'éloquente solution n’existât quelque part : dans quelque hexagone. L'univers se trouvait justifié, l’univers avait brusquement conquis les dimensions illimitées de l'espérance. En ce temps-là, il fut beaucoup parlé des Justifications : livres d'apologie et de prophétie qui justifiaient à jamais les actes de chaque homme et réservaient à son avenir de prodigieux secrets. Des milliers d'impatients abandonnèrent le doux hexagone natal et se ruèrent à l'assaut des escaliers, poussés par l’illusoire dessein de trouver leur Justification. Ces pèlerins se disputaient dans les étroits couloirs, proféraient d'obscures malédictions, s'étranglaient entre eux dans les escaliers divins, jetaient au fond des tunnels les livres trompeurs, périssaient précipités par les hommes des régions reculées. D'autres perdirent la raison... Il n’est pas niable que les Justifications existent (j'en connais moi-même deux qui concernent des personnages futurs, des personnages non imaginaires peut-être), mais les chercheurs ne s'avisaient pas que la probabilité pour un homme de trouver la sienne, ou même quelque perfide variante de la sienne, approche de zéro.

(Jorge Lui Borges, Fictions)

27 septembre 2006

Aller-retour

HODIE

Le tri reste à faire.


Crab prenait les mots un à un tels que les distribue l'ordre alphabétique — chaque mot était combiné avec le suivant, de toutes les manières possibles et en tenant compte de toutes les déclinaisons possibles, puis combiné avec le mot venant après ; combiné ensuite avec ce dernier et le précédent ; combiné avec un troisième ; avec celui-ci et les deux précédents ; avec le même et le second seulement ; combiné avec un quatrième, et ainsi de suite. Crab notait toutes les combinaisons sur de grandes feuilles de papier — chaque page remplie et numérotée allait grossir la bible qui s'amoncelait sur le tapis. Il fut bientôt obligé d'abattre le plafond, puis de pratiquer une large ouverture dans le toit.
Mais un soir tout fut terminé. Le manuscrit était haut comme une montagne. Crab dut se hisser jusqu'au sommet pour entreprendre enfin la deuxième partie de son travail, délicate celle-ci, moins en raison des risques de chute que de la nature même de l'oeuvre à exécuter, un chef d'oeuvre, le livre final après lequel se taire, et le monde entrerait dans une ère de silence recueilli, car désormais que dire, ajouter quoi, l'homme emploierait le reste de ses jours à lire et relire ces pages en hochant la tête.
Crab disposait là d'une matière fabuleuse puisque tous les livres passés et à venir s'y trouvaient fondus, et non seulement tous les livres, mais tous les quotidiens, lettres, listes, discours, conversations, modes d'emploi de machines encore à inventer, catalogues, rapports, de gendarmerie, actes administratifs y figuraient, sans compter, bien sûr les ouvrages inédits que sa méthode avait naturellement produits, un nombre incalculable de romans, d'épopées, de poèmes en vers libres ou rimés, de biographies vraies ou fausses, de journaux intimes scandaleux, d'évangiles contradictoires, d'encyclopédies, de traités aussi divers que multiples, scientifiques, historiques, économiques, politiques... Crab n'aurait eu qu'à détacher des fragments choisis de sa montagne pour se constituer une oeuvre personnelle imposante, dont personne n'aurait pu lui contester la paternité.
Mais non, son projet était plus ambitieux encore. Il y avait beaucoup mieux à faire. Crab commença donc à raturer des phrases du manuscrit, des passages entiers insensés ou médiocres, ou déjà lus ailleurs, il coupa largement, jeta au feu des morceaux de pages indignes de lui, épargnant ici ou là un mot, une phrase, puis raturant encore, taillant là-dedans aux ciseaux, déchirant des liasses et des liasses de feuilles pour finalement ne conserver que le meilleur du manuscrit original, une centaine de pages nécessaires, extraites éblouissantes de cette somme obscure, compacte, indéchiffrable de considérations banales et de délires enchaînés, absolument, c'est bien ainsi que Crab a écrit son livre — en fait il ne croit pas que l'on puisse procéder autrement.

(Éric Chevillard, La Nébuleuse du crabe)

26 septembre 2006

Paralysie

HODIE

Peut-on survivre à moitié ?


Novembre. Le mot ne l’atteint plus
ni aucun de tous ceux que prononce
chaque bouche vivante. Le ciel
bas, le vent qui emporte les feuilles,
le froid qui s’approche, la mémoire,
rien ne peut plus le rejoindre, rien
sauf peut-être cette peur parfois
qu’on sent, très loin, comme d’un enfant
qui tremble dans une chambre noire.

(Jacques Ancet, La Dernière Phrase)

25 septembre 2006

À l'encan

HODIE

Après tout, la fenêtre est ouverte.



Un riche collectionneur oriental fait entasser sur son lit les principaux ornements de son palais – bijoux, étoffes, chevaux, femmes – avec l'intention évidente de les vendre, pour recommencer sa vie dans un autre monde.

(Jean Tardieu, Le Professeur Froeppel)

24 septembre 2006

Fascination chaulée

HODIE

Au son des cloches.


C'est simple, on trempe un doigt dans la gouache bleue, on le fait glisser sur les mots à peine tracés dans l'encre noire, et du mélange de l'encre et de la couleur monte, marée, algues qui remuent dans l'eau trouble, ce qui n'est plus le signe, n'est plus l'image – nos deux passions, nos deux leurres. On a ouvert les yeux, on avance, dans la lumière de l'aube.

Mais je m'éveille. Devant moi sur le mur aux couleurs superposées qui s'écaillent, il y a cette forme qui fut gravée dans leur profondeur, avec un clou, jusqu'au plâtre. Est-ce l'évocation d'un agneau qu'un dieu porte sur ses épaules ? Est-ce une figure obscène ? En fait l'entaille va si avant dans la nuit du plâtre que c'est son rebord désert qui compte seul, déchirure qu'il est de toute quête d'image, dissipation de tout signe.

(Yves Bonnefoy, La Vie errante)

23 septembre 2006

Comme un orvet

HODIE

Dear Gene


Depuis quelque temps, je lui parlais dans sa langue maternelle, que je trouvais d'autant plus émouvante que j'en connaissais moins les mots. Pour elle, elle ne la parlait pour ainsi dire jamais, du moins avec moi, et cependant, si je commençais à ânonner, à lier ensemble des termes maladroits, à former des locutions impossibles, elle les écoutait avec une sorte de gaieté, de jeunesse, et à son tour elle me répondait en français, mais un français différent du sien, plus enfantin, plus bavard, comme si sa parole fût devenue irresponsable, à la suite de la mienne, employant une langue inconnue. Et il est vrai que, moi aussi, je me sentais irresponsable dans cet autre langage, si ignoré de moi ; et ce que je n'aurais jamais dit, ni pensé, ni même tu à partir de mots véritables, ce balbutiement, irréel, d'expressions à peu près invntées, et dont le sens se jouait à mille lieues de ma tête, me l'extorquait, m'invitait à le faire entendre, me donnait, à l'exprimer, une petite ivresse qui n'avait plus conscience de ses limites et allait hardiment au-delà de ce qu'il fallait.

(Maurice Blanchot, L'Arrêt de mort)

22 septembre 2006

Un jour ordinaire

HODIE

S'éveiller dans l'oubli.


Un vingt-deux de septembre au diable vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous...
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

On ne reverra plus au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous...
Le complexe d'Icare à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous...
Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Désormais, le petit bout de coeur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque en souvenir de vous...
Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
À peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Et c'est triste de n'être plus triste sans vous.

(Georges Brassens, Le vingt-deux septembre)

21 septembre 2006

Ça alors !

HODIE

Et le grec aussi ?



- Ah parce que tu mélanges tout ça, toi ! Mon Espagnol, comme tu dis, et le père Bardasse. Les Grands Ducs et les boit-sans-soif.
- Les grands ducs...
- Oui monsieur, les princes de la cuite, les seigneurs, ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps et qu'ont toujours fait verre à part. Dis-toi bien que tes clients et toi, ils vous laissent à vos putasseries, les seigneurs. Ils sont à cent mille verres de vous. Eux, ils tutoient les anges !
- Excuse-moi mais nous autres, on est encore capables de tenir le litre sans se prendre pour Dieu le Père.
- Mais c'est bien ce que je vous reproche. Vous avez le vin petit et la cuite mesquine. Dans le fond vous méritez pas de boire. Tu t'demandes pourquoi y picole l'espagnol ? C'est pour essayer d'oublier des pignoufs comme vous.

(Un singe en hiver)

20 septembre 2006

Un peu de gravité

HODIE



Tu disais île et moi Nahaye


Arbres si hauts, si droits et si serrés qu'au milieu d'eux l'on n'entend rien, comme s'ils avaient mis les bruits hors de notre portée en s'élançant – impavides – vers le ciel et les y poussant, de la masse compacte de leurs branches les plus élevées, comme vers un lieu de quarantaine.

... Ou – à l'horizontale et non à la verticale – le masque (peut-on dire) de silence que le spectacle d'une futaie très dense appose sur notre face de vivant prêt à croire qu'il dort debout, tant le dépayse cette absence de son que semble attester un organe qui est l'oeil et non l'oreille.

(Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia)

19 septembre 2006

Hop là !

HODIE

Un petit plus.


Il naquit d'un effleurement du crayon et de la page
il sautait à la corde des phrases
jouait à saute-mouton avec les points d'exclamation
glissait sur le strapontin des traits d'union
s'ébrouait sous la pluie des guillemets

on le nomma virgule
parce qu'il préférait marcher sous la ligne

il vivait entre parenthèses
quel point final viendra le délivrer !

(Vénus Khoury-Ghata)

18 septembre 2006

Pop up

Il n'est pas encore temps, ah non
Ni pour l'oubli
Ni pour les échardes, ni pour le soleil
Ni pour la devanture des prisons

17 septembre 2006

L'air surtout

HODIE

Jusqu'où s'étend-il ?


J. prend un livre sur ma table. Un livre de poèmes.
— Toujours cette sacrée verticalité, dit-il.
— La poésie n'a rien d'autre.
— Comment ça ?
— Oui, la station droite et l'air autour.
— Tu crois que...
— On s'est mis debout. Le corps a vu son ombre et le temps. Un visage lui est poussé par en haut. Il a fait face à la mort en empilant des mots.
— . . . . . . .
— Si nous allions à quatre pattes, la prose suffirait.

(Bernard Noël, Le 19 octobre 1977)

16 septembre 2006

On dit ça...

HODIE






La solitude n'a rien de terrifiant
puisqu'elle est née bien après nous,
que nous l'avons bordée,
lorsqu'elle était malade
comme un oiseau dont nous avions disloqué l'aile
dans la dévastation des nôtres.

(Mimy Kinet, À voix tue)

15 septembre 2006

Même des godasses

OLIM

D'hiver ou d'été, triste écart matinal.


C’est à l’époque où le doux temps d’été prend fin, remplacé par la saison d’hiver. Renart alors retourne en son logis. Mais il a épuisé ses provisions. Il n’a plus rien pour se réconforter, ou pour assurer sa subsistance. Dans ce pressant besoin, il se met en campagne. Cherchant aventure, il arrive à un chemin : quelle est cette carriole qu’il entend approcher ? Ciel ! Ce sont des marchands qui apportent de la mer toute une cargaison de poissons grands et petits, anguilles, lamproies, qu’ils vont vendre à la ville prochaine. Renart doit avoir trouvé quelque ruse nouvelle, car ses yeux brillent d’envie ! Il se couche sur le bord de la route et fait le mort. Il ferme les yeux, serre les dents et retient son souffle — fut-il jamais pareille trahison ? Il reste ainsi, gisant. Soudain, un des hommes l’aperçoit, il appelle son compagnon.
— Par ma foi, c’est un goupil qui gît là sur ce gazon !
— Oui, certes, et je crois que, cette fois, nous tenons son pelage !
Les deux marchands courent à Renart qu’ils trouvent les quatre pattes en l’air : ils le tournent, le retournent, estiment son dos, et puis sa gorge. L’un dit qu’il vaut trois sous. Et l’autre aussitôt :
— Au marché, on nous en donnera quatre sous pour le moins ! Nous ne sommes guère chargés. Jetons-le sur notre charrette.
Chemin faisant, les deux compères se vantent à l’envi leur proie ; ce soir même, ils le dépouilleront. Ils rient d’aise à cette seule pensée ! Renart les entend, mais ne s’en soucie guère. Il y a loin de la coupe aux lèvres ! Il s’aplatit parmi les paniers, ouvre l’un avec ses dents, et y trouve trente harengs qu’il avale sans se faire prier. Du second, il tire trois paquets d’anguilles qu’il charge sur son dos. Puis, au moment propice, calculant bien son élan, il saute au milieu de la route, et, tout goguenard, prend congé de ses hôtes.
Dieu vous garde, bonnes gens ! Et partagez-vous mes restes ! Les marchands s’ébahissent fort de l’entendre. Ils s’avisent un peu tard qu’avec Renart on ne saurait trop se méfier. Et tandis qu’ils se lamentent, le rusé compère s’empresse de prendre le large.

(Le Roman de Renart)

14 septembre 2006

Pour une bande de lèche-museaux

HODIE

Piètre ambition...


Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.

(René Char, Fureur et Mystère)

13 septembre 2006

Mouais...

HODIE

Pour quand, le temps des larmes ?


Démantelé. Cette lettre. Moi-déchire. Et les larmes (c'est cela). Les cris jusqu'au sommeil. Oui moi. Lourd. Ô enfant sanglant (les enfants). Et ce chant. Tu. Ne. M'oublieras. Pas. Dis. Te tairas-tu. Ô groseille de nos sanglots. Et nos paroles juxtaposées. Si tu pouvais venir. Cela sur la poitrine. Comme une nudité. Comme autrefois. Nous pourrions essayer de. Et le safran de nos cris. Cette douceur. Qui est nous. Non. Ne viens pas. Je t'en supplie. À moins que tu ne viennes. Pour te dire de venir.
« Et tes prières nouvelles. »

(Mathieu Bénézet, in Écritures multiples, N° 43)

12 septembre 2006

Crayon audacieux

OLIM

Perroquet en corps 12 !


Ne faites rien contre votre conscience, même si l'Etat vous le demande.

(Albert Einstein)

11 septembre 2006

Choeur

OLIM

Pierre, Maria, René, José et moi, pour commencer.


Tu m'as donné la fraternité
envers celui que je ne connais pas.
Tu as ajouté à mon corps la force
de tous ceux qui vivent.
Tu m'as redonné la patrie
comme par une autre naissance.
Tu m'as donné la liberté
que ne possède pas le solitaire.
Tu m'as appris à allumer,
comme un feu, la bonté
Tu m'as donné la rectitude qu'il faut à l'arbre.
Tu m'as appris à voir l'unité
et la variété de l'homme.
Tu m'as montré comment la douleur
de l'individu meurt avec la victoire de tous.
Tu m'as appris à dormir dans les durs lits
de mes frères.
Tu m'as fait bâtir sur la réalité
comme on construit sur une roche.

Tu m'as fait l'adversaire du méchant,
tu m'as fait mur contre le frénétique.
Tu m'as fait voir la clarté du monde
et la possibilité de la joie.
Tu m'as rendu indestructible car grâce à toi
je ne finis plus avec moi.

(Pablo Neruda, Canto General)

10 septembre 2006

Avance prudente

OLIM

Premier lancer : petit poisson épineux.


A Chartreux et à Célestins,
A Mendiants et à Dévotes,
A musards et claquepatins,
A servants et filles mignottes
Portants surcots et justes cottes,
A cuidereaux d'amour transis,
Chaussant sans méhaing fauves bottes,
Je crie à toutes gens mercis.

A fillettes montrant tétins,
Pour avoir plus largement hôtes,
A ribleurs, mouveurs de hutins
A bateleurs trayant marmottes,
A fous, folles, à sots, à sottes,
Qui s'en vont sifflant six à six
A vessies et mariottes,
Je crie à toutes gens mercis,

Sinon aux traîtres chiens mâtins
Qui m'ont fait ronger dures crôtes,
Mâcher maints soirs et maints matins,
Qu'ores je ne crains trois crottes.
Je fisse pour eux pets et rottes ;
Je ne puis, car je suis assis.
Au fort, pour éviter riottes,
Je crie à toutes gens mercis.

Qu'on leur froisse les quinze côtes
De gros maillets forts et massis,
De plombées et tels pelotes.
Je crie à toutes gens mercis.

(François Villon, Le Testament)

09 septembre 2006

Collectif

HODIE

Un poète, quel surprise !


Je marche, je marche :
Les mots que je porte
Sur la langue sont
Une étrange annonce.

(Mohammed Dib, Ombre gardienne)

08 septembre 2006

Hoe la la !

HODIE

De fer ou de pierre, je ne sais plus.


Vous savez, une rivière, c'est plein de rumeurs. Tu crois que c'est calme, que c'est une petite chanson qui s'en va entre les coassements des crapauds et le cri d'un oiseau de nuit, mais c'est autre chose, une rivière, lorsqu'on la connaît bien, et la Messancy, c'est un orchestre, avec ses caprices et ses farces, lorsqu'il lui vient de faire tonner des voix, parfois une complainte que tu penserais à un enfant qui pleure et pleure jusqu'à se vider l'âme, mais va donc voir : il n'y a rien que la Messancy qui se fout de toi, à peine tu tournes les talons qu'elle recommence : elle siffle, elle mugit, elle rugit, la mutine, elle fait pire lorsqu'elle se tait que tu te demandes où elle est, qu'elle a disparu, mais non, la vieille rôdeuse, l'amie des quatre vents, elle cabriole, elle sautille, elle s'ennuie, elle s'amuse, elle babille, elle crachote, elle dansote, elle s'encolère, s'irrite, rechigne, elle a l'eau qui bigle, puis elle te fait la nique : coucou me revoilà, que c'est toi qui t'en retournes parce que tu en as assez de cette niquenaude qui s'encanaille, ah ! coquine ! que Dieu te donnera pardon de nous avoir tant joué et rejoué, des tours, quand nous n'étions que des gamins à déchiffrer tes menus trésors, des adolescents à rêver de baisers, [...]

(Hubert Juin, Le Repas chez Marguerite)

Hoe la la !

HODIE

De fer ou de pierre, je ne sais plus.


Vous savez, une rivière, c'est plein de rumeurs. Tu crois que c'est calme, que c'est une petite chanson qui s'en va entre les coassements des crapauds et le cri d'un oiseau de nuit, mais c'est autre chose, une rivière, lorsqu'on la connaît bien, et la Messancy, c'est un orchestre, avec ses caprices et ses farces, lorsqu'il lui vient de faire tonner des voix, parfois une complainte que tu penserais à un enfant qui pleure et pleure jusqu'à se vider l'âme, mais va donc voir : il n'y a rien que la Messancy qui se fout de toi, à peine tu tournes les talons qu'elle recommence : elle siffle, elle mugit, elle rugit, la mutine, elle fait pire lorsqu'elle se tait que tu te demandes où elle est, qu'elle a disparu, mais non, la vieille rôdeuse, l'amie des quatre vents, elle cabriole, elle sautille, elle s'ennuie, elle s'amuse, elle babille, elle crachote, elle dansote, elle s'encolère, s'irrite, rechigne, elle a l'eau qui bigle, puis elle te fait la nique : coucou me revoilà, que c'est toi qui t'en retournes parce que tu en as assez de cette niquenaude qui s'encanaille, ah ! coquine ! que Dieu te donnera pardon de nous avoir tant joué et rejoué, des tours, quand nous n'étions que des gamins à déchiffrer tes menus trésors, des adolescents à rêver de baisers, [...]

(Hubert Juin, Le Repas chez Marguerite)

07 septembre 2006

Au clair de la lune

HODIE

Prête-moi ta plume.




Ils étaient là une douzaine qui mangeaient la soupe
à la bière, et chacun d'eux avait pour cuillère l'os
de l'avant-bras d'un mort.

La cheminée était rouge de braise, les chandelles
champignonnaient dans la fumée, et les assiettes
exhalaient une odeur de fosse au printemps.

Et lorsque Maribas riait ou pleurait, on entendait
comme geindre un archet sur les trois cordes d'un
violon démantibulé.

Cependant le soudard étala diaboliquement sur la table,
à la lueur du suif, un grimoire où vint s'abattre une
mouche grillée.

Cette mouche bourdonnait encore lorsque de son ventre
énorme et velu une araignée escalada les bords du
magique volume.

Mais déjà sorciers et sorcières s'étaient envolés par
la cheminée, à califourchon qui sur le balai, qui sur
les pincettes, et Maribas sur la queue de la poêle.

(Aloysus Bertrand, Gaspard de la nuit)

06 septembre 2006

Voyage d'une moustache

HODIE

Dans tes bagages, bien plus que des flûtes et des cigognes


Ces deux langues, le roumain et le français, ces deux langues tellement ressemblantes changent de visage dès qu'on leur demande de vous rendre service en littérature. Le texte reste forcément le même, si je puis dire, mais quelle dissemblance dans la mise en scène ! D'un côté, un spectacle où la scénographie privilégie le blanc et le noir, une confrontation de magistrats persuadés que le destin de l'humanité dépend d'une virgule, qu'une faute d'orthographe peut précipiter le monde dans le désastre. De l'autre, une liturgie qui rassemble des paysans en costume traditionnel dans un palais levantin où quelques vocables rapportés de France gémissent en découvrant l'âme slave. Du côté de chez Swann, les comédiens préfèrent les sons purs, les pianos en cristal, les bijoux simples et les femmes sincères – qui ne font pas de mensonges inutiles, dirait Anatole France. La textualité roumaine est trouble, elle n'offre que des repères hypothétiques, les acteurs ne savent jamais qui aime qui, ni pourquoi, désespérés par un discours qui a besoin de leur sang pour acquérir une crédibilité. Le temps de la phrase est incertain et le sens, qui refuse la précision par amour d'une langue inapte à trancher, flotte au fil des mots tel le brouillard des matins d'automne. En français, tout au contraire, l'écriture est une danse, précise, rythmée sous le jour des projecteurs qui éclairent impitoyablement le moindre faux pas, le moindre tremblement de la jambe, le plus infime écart de rythme.

(Virgil Tanase, Le Goût ingénieux d'une langue)

05 septembre 2006

Tout de blanc vêtu

HODIE

Festival d'herbe entre les pavés




La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois

Le patron doute
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton

Le bruit des fiacres
Mon voisin laid
Qui fume un âcre
Tabac anglais

Ô La Vallière
Qui boite et rit
De mes prières
Table de nuit

Et tous ensemble
Dans cet hôtel
Savons la langue
Comme à Babel

Fermons nos Portes
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour

(Guillaume Apollinaire, Alcools)

04 septembre 2006

Cambriolage

03 septembre 2006

Puzzle

OLIM

Aussi incohérent qu'un cauchemar.


Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu'un roi je suis heureux ;
L'air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j'en devins amoureux !

L'horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s'assouvir
D'autant de vin qu'en peut tenir
Son tombeau ; – ce n'est pas peu dire :

Je l'ai jetée au fond d'un puits,
Et j'ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
– Je l'oublierai si je le puis !

Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,

J'implorai d'elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! – folle créature!
Nous sommes tous plus ou moins fous !

Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l'aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : sors de cette vie !

Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
À faire du vin un linceul ?

Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l'été ni l'hiver,
N'a connu l'amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d'alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d'ossements !

– Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,

Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien

Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m'en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !

(Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal)

02 septembre 2006

Lime de brouillard

HODIE

TIR torero




Aimer d'amour ce que l'on tue,
en tracer le portrait pour les siècles
ô pur profil par la mort ennobli
de la victime aux yeux de femme
animal-dieu crucifié
gravé dans la poussière
par le couteau du soleil !

Ah qui viendra nous délivrer
de la naissance et de la mort
par quoi tout crime est justifié ?
Laissez-moi aimer sans détruire
le tendre museau des bêtes
Je suis dans le troupeau je regarde j'admire
la profondeur du jour.

(Jean Tardieu, L'Espace et la flûte)

01 septembre 2006

Plouf

OLIM

La tasse et le vin chaud.




La véronique et le taureau
Parlaient ensemble au bord de l'eau.
Le taureau dit : « Tu es bien belle »,
La véronique : « Tu es beau ».
La véronique est demoiselle
Mais le taureau n'est que taureau.

(Robert Desnos, Chantefables et Chantefleurs)