31 janvier 2006

Les doléances du A

HODIE


A. Tandis que l'E ne m'a fait que des iniures particuliéres, je me suis tû pour ne point troubler le repos public ; mais aujourd'huy qu'il entreprend sur toutes les letres, ie ne puis plus retenir mes plaintes. Il s'est déja rendu si nécessaire aux consones, qu'elles ne viennent plus sans lui, lors qu'on les apelle & et comme le K, pour éviter sa tyrannie, se fut donné à moy, il le fit interdire, iusques-là que par son crédit, l'H, qui me considére vn peu plus que luy, ne passe plus que pour une aspiration. Enflé de cét heureux succés, & voyant que de toutes les consones il n'y auoit plus que le Q, qui lui fist teste, il en conçut vn tel dépit que iamais depuis il ne l'a voulu suiure, qu'il n'y eust quelqu'vn entr'eux deux pour les séparer. Non content de cela, il se foure en cent endroits où il n'a que faire ; & parce qu'on n'a borné ni son esprit, ni ses espérances, il a corompu la Gascogne, & fait dire au peuple de Paris édegrez & les estatuës. D'ailleurs, il s'est ioint à l'M & à l'N, pour me contrefaire avec tant de succés qu'on ne sait plus si c'est luy ou moy qui parlons, lors que l'I ne se trouue pas pour l'en empescher, encore se moque-t'il quelquefois de luy à bon escient, comme on le uoit par expérience. Que si ces places luy sont deuës, que ne les tient-il en son nom, comme il fait Ierusalem & Bethleem, & quelques autres, sans me donner autant d'ennuy qu'il m'en donne ? Car il ne s'est pas contenté de me bannir de la compagnie des Demoiselles, il m'a encore atiré chez les ennemis d'où i'ay bien de la peine à me sauuer. Cependant quoique i'aye beaucoup d'autres plaintes à faire, tant contre les autres, que contre luy, ie me contenteray de vous dire, pour ne point abuser de vostre audience, qu'encore que ie sois presque le seul qui ne cache rien de mon aage, on m'en retranche maintenant vne partie. Ie vous prie, est-il raisonnable que les E, se trouuent quelquefois trois ensemble, & que les A, ne puissent marcher de compagnie ?

(d'Ablancourt, Dialogve des letres de l'alphabet)

30 janvier 2006

Brrrr

HODIE
Nous élevons, en parlant dans l'air froid, de petits monuments aussitôt en ruines.

[...]

Nous sommes des bâtisseurs de ruines. Nos édifices de langues ne dureront pas plus que nos tombeaux. Les langues nous font aimer le silence

(Richard Millet, Le Sentiment de la langue)

29 janvier 2006

Sillons

HODIE

Dans le même dédale, sa folie et mon silence.


Parler

Ton silence est un verre en cristal : je le brise.
L'aspic aime le verre et la faim fait la fin,
Sa feuille d'éventail disculpe la cerise,
Mais non les yeux des fleurs qui rêvent leur parfum.

Dans les fleurs de tes yeux, nul archer ne s'y loge.
Tu secoues sur ton coeur le safran de ta tête.
Déroulant leurs tissus ainsi que des éloges
Les marchands de la Crète ont un soleil pour crête.

(Olivier Larronde, Les barricades mystérieuses)

28 janvier 2006

Transfert

HODIE

Précieuses réserves
typographie
laisse-moi
te célébrer
dans la pureté
de tes
purs profils,
dans la fiasque
de la lettre O,
dans le frais
vase à fleur
de l’Y
grec,
dans le
Q
de Quévédo
(comment ma poésie peut-elle
passer
devant cette lettre
sans avoir le vieux frisson
du sage moribond ?)
dans le lys
multi
multiplié
du
V
de victoire,
dans le
E
échelonné pour monter au ciel,
dans le
Z
et sa face d’éclair

(Pablo Neruda, Nouvelles odes élémentaires)

27 janvier 2006

Avant la suite

HODIE

Ivresse et sable du Rhin


la
légère
candide
capricieuse
tourbillonnante
ouatée
poudreuse
neige dont j'aime
la
lente lente
chute

par un jour de grisaille aux vapeurs violâtres
ou quelquefois même (je l'ai vu)
par un ciel terre de Sienne
ellepapillonne blanc,
plus blanc que les piérides blanches
qui volettent en avril
comme fiévreusement,
à moins que ce ne soit frileusement
autour
de roses
couleur d'âtre

météore
qui touche ma manche
de ratine, y déposant des cristaux à six branches
sous mes yeux d'étincelles

pluie
de
plumes
de
mouettes
muettes

recouvrant la plaine déshéritée
emmantelant la forêt squelettique

épaisse, assoupissante et ensevelissante

blanche telle
une belle absence de parole

blanche autant qu'absolue
dans un silence d'oeil
qui rêve l'éternité blanche

neige neigée
tellement soleillée
que d'un blanc aveuglant
et brûlante !

moelle de diamant

neiges du Harfang aux iris jaune d'or
et ventre blanc pur de la Panthère des neiges

de quel oiseau fléché fuyant à travers ciel
ce pointillé de sang sur la neige vierge ?

regardez, par-delà
cette grille givrée
d'innocentes hermines
dorment tout de leur long
sur les bras des croix

alors qu'à l'intérieur l'enfant
le front appuyé à la vitre
pour jouer
fait de la buée
dehors chaque flocon
éclate une petite larme
qui roule
en bas
du carreau
où le mastic est vieux comme la maison

Et
tout là-bas
(à l'heure de mon coeur qui bat tout bas)
quelqu'un
contemple
la rencontre de la neige
floconneuse, innombrable
avec la mer
formidable, comme
de plomb,
glauque

(Henri Pichette)

26 janvier 2006

Accord étonnant

HODIE

Tant de surprises cramées !


Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...

Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...

Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort ─ Les bourgeois sont bêtes ─
Va vite, léger peigneur de comètes !

(Tristan Corbière, Les Amours jaunes)

25 janvier 2006

Pierre d'or

HODIE

Ma maison est le silence.


Écoute
dans le silence,
il n'y a pas de silence :
les ongles,
le mur.

(Paavo Haavikko)

24 janvier 2006

Voeux

HODIE

Ni peur ni colère et si peu de curiosité.


Beaucoup d'entre nous sont dans la situation d'un homme qui ne pourrait plus écrire à ses amis. Non parce qu'il n'aurait plus rien à leur dire mais parce que son langage serait périmé.

(Georges Perros, Papiers collés)

23 janvier 2006

Ursa Major

HODIE

Chiches moissons.


Ses purs ongles très-haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.

(Stéphane Mallarmé, Oeuvres complètes)


22 janvier 2006

Fable en abyme

HODIE

Ne pas rompre le pas au passage.


Par le mot par commence donc ce texte
Dont la première ligne dit la vérité,
Mais ce tain sous l'une et l'autre
Peut-il être toléré ?
Cher lecteur déjà tu juges
Là de nos difficultés...

(APRÈS sept ans de malheurs
Elle brisa son miroir.)

(Francis Ponge, Proêmes)

21 janvier 2006

Feu de foie

OLIM

Un pinceau de fenouil pour quelle toile ?


Lampernisse ? C'est mon nom... Lampernisse, Couleurs et vernis. Cela se trouvait au-dessus de la porte, en belles lettres de trois teintes. Je vendais toutes les couleurs, toutes..., des mèches soufrées, de l'huile siccative, de l'huile de schiste, du mastic gris et blanc, de l'ocre, du vernis blanc et brun, du blanc de zinc et de plomb, gras comme crèmes, du talc et des acides mordants. Je me nomme Lampernisse et je jouissais des couleurs. Maintenant, on m'a mis dans le noir. Autrefois j'ai vendu du noir animal et du noir de charbon mais je n'ai jamais servi le noir de la nuit à personne. Je suis Lampernisse, je suis bon et l'on m'a mis au fond de la nuit, avec quelqu'un qui éteint toujours les lampes !

(Jean Ray, Malpertuis)

20 janvier 2006

Dis-moi

HODIE

On se sait que choisir


Vieille ha ha, vieille hou hou,
Vieille chouette, vieil hibou,
Vieille grimace de marotte,
Vieille gibecière de Juif,
Vieux chandelier noirci de suif,

Vieille guisarme de sergent,
Vieille pantoufle de régent,
Vieux rouet mangé de la rouille,
Vieille arquebuse de forêts,
Vieux baril de harengs sorets,
Vieille revendeuse d'andouille,

Vieille barbe de vérolé,
Vieille trogne de cul pelé,
Vieille chaudière à cuire tripes,
Vieille marchande d'almanachs,
Vieille tripière, vieil cabas,
Vieille receleuse de nippes,

Vieille serpentine d'amour,
Vieille corratière de Cour,
Vieille étrille toute édentée,
Vieille porte-malle du temps,
Vieille dépouille de serpents,
Vieille carrosse démontée,

Vieille marmite de couvent,
Vieille bourse pleine de vent,
Vieille borgne, vieille tortue,
Vieille couenne de lard punais,
Vieille qui mord avec le nez,
Vieille de qui le regard tue,

(Montgaillard, Gaillardises)


19 janvier 2006

Les uns et les autres

HODIE

Bientôt fantôme.


Mon corps est sans couleur comme celui des eaux
Et selon la rencontre il change de figure ;
Je fais plus d'un seul trait que toute la peinture
Et puis mieux qu'un Apelle animer mes tableaux.

Je donne des conseils aux esprits les plus beaux,
Et ne leur montre rien que la vérité pure ;
J'enseigne sans parler autant que le jour dure,
Et la nuit on me vient consulter aux flambeaux.

Parmi les curieux j'établis mon Empire,
Je représente aux Rois ce qu'on n'ose leur dire,
Et je ne puis flatter ni mentir à la Cour.

Comme un autre Pâris je juge les Déesses,
Qui m'offrent leurs beautés, leurs grâces, leurs richesses,
Et j'augmente souvent les charmes de l'amour.

(Abbé Cotin, Oeuvres mêlées)

18 janvier 2006

Salut et encore merci

HODIE

J'ai le pied grec.


Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire
Où nul n'a jamais su ce que c'est qu'un regard
Ni connu la beauté des yeux, beauté des pierres,
Celle des gouttes d'eau, des perles en placards,

Des pierres nues et sans squelette, ô ma statue,
Le soleil aveuglant te tient lieu de miroir
Et s'il semble obéir aux puissances du soir
C'est que ta tête est close, ô statue abattue

Par mon amour et par mes ruses de sauvage.
Mon désir immobile est ton dernier soutien
Et je t'emporte sans bataille, ô mon image,
Rompue à ma faiblesse et prise dans mes liens.

( Paul Eluard, Capitale de la douleur)

17 janvier 2006

Un jour de Mardi gras

HODIE

Chaînes et poignée de bois


Ainsi l'homme mi-nu sur l'Océan des neiges, rompant soudain l'immense libration, poursuit un singulier dessein où les mots n'ont plus prise. Épouse du monde ma présence, épouse du monde ma prudence!... Et du côté des eaux premières me retournant avec le jour, comme le voyageur, à la néoménie, dont la conduite est incertaine et la démarche est aberrante, voici que j'ai dessein d'errer parmi les plus vieilles couches du langage, parmi les plus hautes tranches phonétiques : jusqu'à des langues très lointaines, jusqu'à des langues très entières et très parcimomieuses,

comme ces langues dravidiennes qui n'eurent pas de mots distincts pour « hier » et pour « demain »... Venez et nous suivez, nous n'avons mots à dire : nous remontons ce pur délice sans graphie où court l'antique phrase humaine ; nous nous mouvons parmi de claires élisions, des résidus d'anciens préfixes ayant perdu leur initiale, et devançant les beaux travaux de linguistique, nous nous frayons nos voies nouvelles jusqu'à ces locutions inouïes, où l'aspiration recule au-delà des voyelles et la modulation du souffle se propage, au gré de telles labiales mi-sonores, en quête de pures finales vocaliques.

(Saint-John Perse, Exil)

16 janvier 2006

Pour le plaisir

OLIM

Tragédie de lumière fondue.



Le palais de Gormaz, comte et gobernador,
Est en deuil : pour jamais dort couché sous la pierre
L'hidalgo dont le sang a rougi la rapière
De Rodrigue appelé le Cid Campeador.

Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre
Chimène, en voiles noirs, s'accoude au mirador
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d'or...

Mais un éclair soudain fulgure en sa prunelle :
Sur la place Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,

Le héros meurtrier à pas lents se promène :
« Dieu ! » soupire à part la plaintive Chimène,
» Qu'il est joli garçon l'assassin de Papa ! »

(Georges Fourest, La Négresse blonde)

15 janvier 2006

Maaôôôôw

HODIE

Embuscades grouillantes.


Et pendant que les jeux d'enfants devenaient de plus en plus tumultueux et enchevêtrés, les couleurs malsaines de la ville s'assombrissaient et se teintaient de pourpre, le monde entier tout à coup commençait à se faner, à noircir et, très vite, il sécrétait un crépuscule chancelant qui contaminait toute chose. Traîtresse et vénéneuse, cette contagion gagnait tout, allait d'une chose à l'autre et, la touchait-elle, qu'aussitôt celle-ci pourrissait, noircissait et tombait en poussière. Les gens fuyaient le crépuscule dans une panique sourde, mais cette lèpre soudain les rattrapait, faisait jaillir sur leur front une superbe éruption : ils perdaient leurs visages, qui tombaient par terre en grandes taches informes, et, s'ils continuaient encore leur chemin, c'est dépourvus de traits, sans yeux, semant en route masque après masque, en sorte que le crépuscule grouillait de ces larves abandonnées, essaimées dans une fuite éperdue. Mais bientôt la ville commençait à se recouvrir d'une rêche écorce noire qui s'écaillait en larges croûtes, escarres maladives de l'ombre. Et tandis qu'au ras du sol tout se dissolvait et s'anéantissait dans le silence, dans la panique d'une décomposition rapide, là-haut tout durait encore, et montait sans cesse l'alarme muette du couchant, frémissante du pépiement d'un millier de sonnettes inaudibles, palpitantes de l'envol d'un millier d'alouettes invisibles volant ensemble vers un seul infini immense et argenté.
(Bruno Schulz, Les Boutiques de cannelle)

14 janvier 2006

Folles dépenses

Quelques tonnes d'hommes
Label grand feu
Neurè au fin nuage crème
Widja, maclotte, cornouiller
Et un chapeau de paille bien sûr

13 janvier 2006

Mémoire perverse

OLIM

Le tu, le tout.


O, that this too too solid flesh would melt
Thaw and resolve itself into a dew!
Or that the Everlasting had not fix'd
His canon 'gainst self−slaughter! O God! God!
How weary, stale, flat and unprofitable,
Seem to me all the uses of this world!

(Shakespeare, Hamlet)

12 janvier 2006

Muser

HODIE


Sans lâcher le fil d'Ariane.

Le rôle du poète n’est-il pas de donner la vie à ce qui se tait dans l’homme et dans les choses, puis de se perdre au cœur de la Parole ?
Cette parole qu’un peuple d’ombres se transmet d’une rive à l’autre du temps, il semble qu’une seule voix sans fin la porte et la profère.
Elle seule, dépositaire d’un monde de secrets, tire de notre absence une longue mémoire, dessine dans l’espace la figure de l’Homme et prête à nos hasards la forme d’un destin…
Mais peut-être, au-delà d’elle-même, si nous prêtons l’oreille avec plus de ferveur, pourrons-nous percevoir l’écho de ce qui n’a même plus de nom dans aucune langue.
Les paroles alors, qu’elles soient transparentes ou opaques, humbles ou chamarrées d’images, ne contiendront pas plus de sens qu’un souffle sans visage qui résonnerait pour lui-même sur les débris d’un temple ou dans un champ superbement désert depuis toujours ignoré des humains.
Ainsi, qu’il laisse un nom ou devienne anonyme, qu’il ajoute un terme au langage ou qu’il s’éteigne dans un soupir, de toute façon le poète disparaît, trahi par son propre murmure et rien ne reste après lui qu’une voix – sans personne.

(Jean Tardieu, Une voix sans personne)

11 janvier 2006

Un peu de peinture

OLIM

Petit moineau en Volière



Le poète au cachot, débraillé, maladif,
Roulant un manuscrit sous son pied convulsif,
Mesure d'un regard que la terreur enflamme
L'escalier de vertige où s'abîme son âme.

Les rires enivrants dont s'emplit la prison
Vers l'étrange et l'absurde invitent sa raison ;
Le Doute l'environne, et la Peur ridicule,
Hideuse et multiforme, autour de lui circule.

Ce génie enfermé dans un taudis malsain,
Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l'essaim
Tourbillonne, ameuté derrière son oreille,

Ce rêveur que l'horreur de son logis réveille,
Voilà bien ton emblème, Ame aux songes obscurs,
Que le Réel étouffe entre ses quatre murs !

(Charles Baudelaire, Les Épaves)

10 janvier 2006

Fayots

HODIE

Quelle invention carcérale ?



Hôtel des Haricots

Dans le langage du peuple, la substitution d'un mot à un autre paraît être un fait volontaire plutôt que le résultat d'une erreur. En voici un exemple curieux et fort peu connu, bien qu'il se rattache à des faits qui appartiennent à notre histoire contemporaine.
En 1815, le général baron Darricau fut nommé commandant des fédérés de Paris, et il prit des mesures énergiques pour organiser cette milice indisciplinée. D'après ses ordres, quiconque manquait à son service allait expier son insubordination dans une vieille masure convertie en maison d'arrêt. Les coupables se moquèrent du général et de sa prison, qu'ils appelèrent l'hôtel Darricau. Puis quelque plaisant, jouant sur le mot et faisant allusion à la maigre chère que l'on faisait à l'hôtel, le nomma l'hôtel des Haricots. Sous la Restauration, cette prison fut destinée à recevoir les gardes nationaux récalcitrants, et c'est de là que la maison d'arrêt de la garde nationale de Paris a été désignée vulgairement sous le nom d'hôtel des Haricots.

(Pierre Larousse, Petit Dictionnaire des étymologies curieuses)

09 janvier 2006

Meule de foin

OLIM

Rose quadrille de boulanger.


Lorsque tout est fini, lorque l'on agonise
snob un peu sur les bords des bords fondamentaux
le cornédbif en boîte empeste la remise
qui sait si le requin boulotte les turbots?

Le cheval Parthénon frissonnait sous la bise
quand se carbonisait la fureur des châteaux
d'une étrusque inscription la pierre était incise
la mite a grignoté tissus os et rideaux

Du Gange au Malabar le lord anglais zozotte
une langue suffit pour emplir sa cagnotte
il voudra retrouver le germe adultérin

Les rapports transalpins sont-ils biunivoques?
frère je t'absoudrai si tu m'emberlucoques
mais rien ne vaut grillé le morceau de boudin

(Raymond Queneau, Cent mille milliards de poèmes)

08 janvier 2006

Rien d'original

OLIM

Brique, noeud papillon et mollets poilus.


IE vis, ie meurs: ie me brule et me noye.
I'ay chaut estreme en endurant froideur:
La vie m'est et trop molle et trop dure.
I'ay grans ennuis entremeslez de ioye:

Tout à un coup ie ris et ie larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment i'endure:
Mon bien s'en va, et à iamais il dure:
Tout en un coup ie seiche et ie verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine:
Et quand ie pense auoir plus de douleur,
Sans y penser ie me treuue hors de peine.

Puis quand ie croy ma ioye estre certeine,
Et estre au haut de mon desiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

(Louise Labé, Sonnets)

07 janvier 2006

Vertige

HODIE

Alors...


Le mot tend au silence
À se fondre dans la brume qui l'enveloppe
Et l'exercice du verbe
Tend à rendre muet l'exécutant
Ainsi la main dans l'eau
Devient transparente
Et l'oiseau est l'unique forme de l'air.

(Angel Bonomini, Tours de silence)

06 janvier 2006

Visite au sommet

HODIE

Tchou mignon à protéger.


D'un coup d'oeil j'avais reconnu un bockeur, un de ces habitués de brasserie qui arrivent le matin, quand on ouvre, et s'en vont le soir, quand on ferme. Il était sale, chauve du milieu du crâne, tandis que de longs cheveux gras, poivre et sel, tombaient sur le col de sa redingote. Ses habits trop larges semblaient avoir été faits au temps où il avait du ventre. On devinait que le pantalon ne tenait guère et que cet homme ne pouvait faire dix pas sans rajuster et retenir ce vêtement mal attaché. Avait-il un gilet ? La seule pensée des bottines et de ce qu'elles enfermaient me terrifia. Les manchettes effiloquées étaient complètement noires du bord, comme les ongles.

(Guy de Maupassant, Garçon, un bock !...)

05 janvier 2006

Poêle rougeaud

OLIM

Adepte aveugle, disciple docile, enthousiaste épigone...


J'écrivais une épopée
Et tu voulus en faire autant.
Pour ne pas te gêner, j'abdique
Et passe au cothurne tragique :
Tu prends le cothurne à l'instant.
Je fis alors chanter la lyre
Maniée par les muses ;
mon plectre de Calabre devient le tien.
J'ose aborder la satire,
Tu veux être un Lucilius.
Je joue des élégies
─ Est-il plus simple genre ? ─
Je ne t'évite pas non plus.
Je me mets à composer des épigrammes
Et voilà que tu t'en réclames,
Que tu veux ma réputation pour toi.
C'est trop de palmes que tu cueilles ;
S'il est genre dont tu ne veuilles,
Tucca, dis-le ! Laisse-le moi !

(Martial, Épigrammes)

04 janvier 2006

Confiance

OLIM

Nuit après nuit, verre après verre, remonter le courant.


Bien sçay, se j'eusse estudïé
Ou temps de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedïé,
J'eusse maison et couche molle...
Mais quoy! je fuyoie l'escolle
Comme fait le mauvaiz enffant.
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fent.

(François Villon, Le Testament)

03 janvier 2006

Galatée fascinée

HODIE

Et les complications de l'oedipe, hein ?


─ Imaginez, en effet, un artiste tombant amoureux de son enfant, de son oeuvre, d'une Hérodiade, d'une Judith, d'une Hélène, d'une Jeanne d'Arc, qu'il aurait ou décrite ou peinte, et l'évoquant et finissant par la posséder en songe ! ─ Eh bien, cet amour est pis que l'inceste normal. Dans ce crime, en effet, le coupable ne peut jamais commettre qu'un demi-attentat, puisque sa fille n'est pas née de sa seule substance mais bien aussi d'une autre chair. Il y a donc, logiquement, dans l'inceste, un côté quasi naturel, une part étrangère, presque licite, tandis que dans le Pygmalionisme, le père viole sa fille d'âme, la seule qui soit réellement pure et bien à lui, la seule qu'il ait pu enfanter sans le concours d'un autre sang. Le délit est donc entier et complet. Puis, n'y a-t-il pas aussi mépris de la nature, c'est-à-dire de l'oeuvre divine, puisque le sujet du péché n'est plus, ainsi que dans la bestialité même, un être palpable et vivant, mais bien un être irréel, un être créé par une projection du talent qu'on souille, un être presque céleste, puisqu'on le rend souvent immortel, et cela par le génie, par l'artifice ?
Allons plus loin encore, si vous le voulez ; supposez qu'un artiste peigne un saint et qu'il s'en éprenne. Cela se compliquerait de crime contre nature et de sacrilège. Ce serait énorme !
─ Et peut-être serait-ce exquis !

(Joris-Karl Huysmans, Là-bas)

02 janvier 2006

La fille de l'antiquaire

OLIM

Chrysanthèmes dorés, chevaux de porcelaine, pommettes roses, étrange papier brun.


Dans les plâtras croulants
parmi les fleurs fanées des décorations anciennes
les derniers napperons et les dernières étagères
soulignent la survie étrange des bibelots
Mettez votre talon sur ces vipères qui se réveillent
Secouez ces maisons que les petites cuillères
en tombent avec les punaises la poussière les vieillards
Qu'il est doux qu'il est doux le gémissement qui sort de ces ruines

(Louis Aragon, Front rouge)

01 janvier 2006

Germaine et Rosalie

OLIM

Du vivier vociférant à la douceur jumelle, petits diabolos explosifs.


La nuit était claire, les étoiles avivées par le froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu-noir, et une foule de petites lumières qui clignotaient, allaient, venaient, s'agitaient à toutes les fenêtres et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans des cendres de papier brûlé...

(Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin)