15 janvier 2006

Maaôôôôw

HODIE

Embuscades grouillantes.


Et pendant que les jeux d'enfants devenaient de plus en plus tumultueux et enchevêtrés, les couleurs malsaines de la ville s'assombrissaient et se teintaient de pourpre, le monde entier tout à coup commençait à se faner, à noircir et, très vite, il sécrétait un crépuscule chancelant qui contaminait toute chose. Traîtresse et vénéneuse, cette contagion gagnait tout, allait d'une chose à l'autre et, la touchait-elle, qu'aussitôt celle-ci pourrissait, noircissait et tombait en poussière. Les gens fuyaient le crépuscule dans une panique sourde, mais cette lèpre soudain les rattrapait, faisait jaillir sur leur front une superbe éruption : ils perdaient leurs visages, qui tombaient par terre en grandes taches informes, et, s'ils continuaient encore leur chemin, c'est dépourvus de traits, sans yeux, semant en route masque après masque, en sorte que le crépuscule grouillait de ces larves abandonnées, essaimées dans une fuite éperdue. Mais bientôt la ville commençait à se recouvrir d'une rêche écorce noire qui s'écaillait en larges croûtes, escarres maladives de l'ombre. Et tandis qu'au ras du sol tout se dissolvait et s'anéantissait dans le silence, dans la panique d'une décomposition rapide, là-haut tout durait encore, et montait sans cesse l'alarme muette du couchant, frémissante du pépiement d'un millier de sonnettes inaudibles, palpitantes de l'envol d'un millier d'alouettes invisibles volant ensemble vers un seul infini immense et argenté.
(Bruno Schulz, Les Boutiques de cannelle)

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