31 août 2006

Travail de spécialiste

HODIE

Souple, infatigable, virtuose.


Mais la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur —
c’est peut-être de passer
sans laisser de trace,
de passer sans laisser d’ombre.

Sur les murs...
Peut-être, subir
un refus ? Être rayée des miroirs ?
Ainsi : Lermontov dans le Caucase
s'est faufilé sans alarmer les rochers.

Mais, peut-être, le meilleur amusement
du Doigt de Sébastien Bach
est-il de ne pas toucher de l'orgue l'écho ?
Se disloquer, sans laisser de cendres

dans l'urne...
Peut-être — subir
une tromperie ? S'exclure des vastitudes ?
Ainsi : se faufiler à travers
le temps, comme l'océan, sans alarmer les eaux...

(Marina Tsvétaïeva, Après la Russie)

30 août 2006

In et out

HODIE

Hardi cosmonaute.


Il dessina un ballon.
Du doigt il le creva.
Quel plouf cela fit !

Il en dessina un autre.
Il le chercha du regard.
Le ballon s'était envolé.

Il en dessina un autre
Il le chercha du regard.
Chercha encore. Rien.

Il leva les yeux.
Il vit un trou béant.
Il ferma les yeux.

(Mohammed Dib, L'Enfant-jazz)

29 août 2006

Projet d'avenir

HODIE

Un incendie tombé à côté du banc.


Une pensée fleurie
dans une fissure
la langue du lézard
devant un tesson

La tache de lumière violette
sur les marches du porche
à côté de la flaque
où le vieux chien vient boire

(Michel Butor, À la frontière)

28 août 2006

So what ?

HODIE



parfois, on ne sait comment
une clarté mûrie dans la chair
d'une longue leçon de ténèbres
éclôt et l'esprit peut toucher un instant

ce que ni mots, ni musique, ni rien
ne peuvent imaginer, ni dire —

(Lorand Gaspar, Patmos et autres poèmes)

27 août 2006

Le pouvoir d'Adam

HODIE

Entre Marmouset et Affreux Jojo.




Il n'y a pas de capucines, mais de la neige sur le sol, pareil à une toile blanche où les flâneurs dessinent des grappes de signes illisibles. De la neige en poudre sur les toits des calèches qui attendent, en longue file immobile derrière les arbres nus. Des nuages de neige dans les lointains.
La même clarté diffuse et floue baigne les silhouettes, les branches, les façades et le ciel d'un halo jaune et bleu de froidure. La lumière d'en bas et la lumière d'en haut sont à peu près les mêmes : entre deux blancheurs indécises flotte la vie humaine, sans cause et dépourvue d'attaches.
Du sol, s'envole une grappe de ballons rouges...

(Jean-Michel Maulpoix, Boulevard des Capucines)

26 août 2006

Grand feu

HODIE

Grand jour, grand air, grand vide.


en toi
se loge ma paresse
mon grand pays paresseux
comme un serpent
dans un tronc évidé

en toi
roule le cerceau crispé du passé
tu fixes d'un regard égal
le lointain et l'immédiat
et les phares relèvent leur jupe d'écume
pour s'éteindre dans les faveurs de la mer
dénués de gardiens
en toi
l'irréfléchi fait parler les voiles
en toi
rebondit le long exil d'un baiser

en toi
je suis enfin
à ma merci

(Georges Hénein, La force de saluer)

25 août 2006

Diète

HODIE

Gare à l'hypertension.


Que d'impatience et pour quoi si demain
n'est qu'une barque sans voile ni rame,
un pont sur le vide ? Pense au vieil homme
d'Alexandrie, à ses trésors enfouis

dans un tiroir parmi les clefs, un reste
de tabac, le profil usé d'un roitelet déchu.
Il suffisait d'un klaxon dans la rue,
d'un pas plus vif dans l'escalier

pour réveiller la chambre, le corps voluptueux
de l'ange, la cinglante et fragile
beauté de l'amour, et sa voix dans le noir
comme du sel

jeté sur une plaie, en passant.

(Guy Goffette, La Vie promise)

24 août 2006

Au voleur !

HODIE

Ce mouton prévoyant, c'était un signe.


Tard dans la nuit d'août,
l'oeil du Taureau devient rouge
comme s'il allait ensemencer la terre.

Il sait qu'on va l'abattre tôt ou tard,
et pas de vache au pacage
de ce côté-ci du ciel.


À quel brasier échappés, ces frelons ?

Moi, quand mes pensées brûlent,
je sais pourquoi.


Cette nuit,
un vent glacé fouette les astres ;
on dirait
qu'eux aussi flambent plus avides.

Y aurait-il même pour eux
de l'impossible ?


Nuages assis en majesté comme des dieux,

ourlés de pourpre s'ils vont vers la nuit.


Orvet vif comme un filet d'eau,
plus vite dérobé qu'oeillade,

orvet des lèvres fraîches.


Toutes ces bêtes
ou esprits invisibles

parce qu'on se rapproche de l'obscur.


Trop d'astres cet été, Monsieur le Maître,
trop d'amis atterrés,
trop de rébus.

Je me sens devenir de plus en plus ignare
avec le temps
et finirai bientôt imbécile dans les ronciers.

Explique-toi enfin, Maître évasif !

Pour réponse, au bord du chemin :

séneçon, berce, chicorée.


(Philippe Jaccottet, Cahier de verdure)

23 août 2006

Dur, dur...

OLIM

Rien de mieux à faire.


Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. — Ô Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs !

(Arthur Rimbaud, Illuminations)

22 août 2006

À la trace

HODIE

Voyage à thème sur une piste enveloppante.




Je ne m'expliquerai jamais le caractère à ce point non érotique de cette femme au bout du compte si féminine et jeune et belle. Cette scène la plus intime et la plus basse — presque de chimpanzés ou d'ouistitis dans un zoo — aurait pu être reprise par Fragonard. Elle est la plus éloignée de Fragonard. Une pitié et une gravité incompréhensibles se dégagent de l'épuceuse ou de l'épouilleuse. Cette nudité est religieuse quel que soit son motif. Lire, prier, entendre une leçon de ténèbres, contempler une nuit, se taire, tuer sont une unique énigme.

(Pascal Quignard, Georges de la Tour)

21 août 2006

Deux foules

HODIE

Et deux représentations uniques.


C'est un frôlement qui m'a réveillé. D'avoir fermé les yeux, la pièce m'a paru encore plus éclatante de blancheur. Devant moi, il n'y avait pas une ombre et chaque objet, chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une pureté blessante pour les yeux. C'est à ce moment que les amis de maman sont entrés. Ils étaient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumière aveuglante. Ils se sont assis sans qu'aucune chaise grinçât. Je les voyais comme je n'ai jamais vu personne et pas un détail de leurs visages ou de leurs habits ne m'échappait. Pourtant je ne les entendais pas et j'avais peine à croire à leur réalité. Presque toutes les femmes portaient un tablier et le cordon qui les serrait à la taille faisait encore ressortir leur ventre bombé. Je n'avais encore jamais remarqué à quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du ventre. Les hommes étaient presque tous très maigres et tenaient des cannes. Ce qui me frappait dans leurs visages, c'est que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur sans éclat au milieu d'un nid de rides.
Lorsqu'ils se sont assis, la plupart m'ont regardé et ont hoché la tête avec gêne, les lèvres toutes mangées par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir s'ils me saluaient ou s'il s'agissait d'un tic. Je crois plutôt qu'ils me saluaient. C'est à ce moment que je me suis aperçu qu'ils étaient tous assis en face de moi à dodeliner de la tête, autour du concierge. J'ai eu un moment l'impression ridicule qu'ils étaient là pour me juger.

(Albert Camus, L'Étranger)

20 août 2006

Le nez en l'air

HODIE



Dans la chambre voisine
la lumière aussi s'éteint —
nuit froide

(Shiki)

19 août 2006

Virer le reflet

HODIE

Il faut traverser le miroir et derrière est la vraie logique avec toute son absurdité.


Miroirs, jamais encore en connaissance on n'a décrit
ce qu'essentiellement vous êtes.
Vous, comme avec rien que des trous de crible,
intervalles comblés de temps.

Prodigues même encore de la salle vide,
vous, quand descend le soir, profonds comme les bois.
Et le lustre traverse, tel un cerf de seize cors,
votre inaccessibilité

Ce sont parfois des peintures qui vous remplissent.
D'aucunes sont en vous, à ce qu'il semble, allées ;
mais les autres, craintives, n'ont fait que passer.

La plus belle pourtant va demeurer là-bas
de l'autre bord, jusqu'à ce que, dans ses joues lisses,
pénètre, délié, le clair Narcisse.

(Rainer Maria Rilke, Les Sonnets à Orphée)

18 août 2006

Nouvelle collection

HODIE

Ouvrir la box, mettre l'antivol et cintrer.


Le petit jour poreux
qui efflue
réhabite
nos vitreuses pensées

On s'entoge encore une fois
du faux habit de soi-même

On replâtre le masque d'hier
à ce visage trop frileux
de sa nudité

On se reprend sa vie — pliée
sur un fauteuil
au pied du lit —
comme un vêtement qu'on soigne.

On inventorie la risqueuse
monnaie des paroles qu'il faudra dire,
la trouble marchandise des gestes
qu'il faudra faire

Pour demeurer la dupe
de son signalement.

Et chacun trouve naturel
de n'être pas devenu
un autre.


(Norge, Poésies 1923-1988)

17 août 2006

Sur le volcan

HODIE

Danse des tables de nuit.


La matière
la matière des sons
leur texture m'est offerte
m'est ouverte
leur texture jusqu'à la torture

étrangement manipulés
m'éprouvant,
les sons innombrables qui me disjoignent
autrement me joignent
m'unifient, s'unifient

Enveloppements ! Envahissement

Soie dans les fibrillations

(Henri Michaux, Face à ce qui se dérobe)

16 août 2006

Un peu plus loin

HODIE

La nuit, tous les chats sont gris !


Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir.

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir,

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir,
Et des griffes, en l'air, vers les étoiles.

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir,
Avec des bruits de vis et de coupoir,
Et leurs griffes, en l'air, vers les étoiles.

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir,
Les chats peignés d'un vent de flamme
Ont traversé, de part en part mon âme.

Les chats d'ébène en flamme
Ont traversé, de part en part, mon âme,
Comme des rages de vent noir
Et des tempêtes dans le soir
Et des chocs de marées,
Immensément, déseespérées.

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir,
Ils ont griffé mon coeur et le miroir
De mes yeux clairs vers les étoiles ;
Ils ont mordu, jusques au sang,
Mon rêve atrocement agonisant,
Ils ont mordu mon coeur et mon rêve et mes moëlles :
Les chats d'ébène et d'or
ont déchiré mon coeur à mort.

(Émile Verhaeren, Extrait de Les Flambeaux noirs)

15 août 2006

Omnibus

HODIE

Retour raide mais napolitain.


Dans une quincaillerie de détail en province
des hommes vont choisir
des vis et des clous
et leurs cheveux sont gris et leurs cheveux sont roux
ou roidis ou rebelles.
La large boutique s’emplit d’un air bleuté,
dans son odeur de fer
de jeunes femmes laissent fuir
leur parfum corporel.
Il suffit de toucher verrous et croix de grille
qu’on vend là virginales
pour sentir le poids du monde inéluctable.

Ainsi la quincaillerie vogue vers l’éternel
et vend à satiété
les grands clous qui fulgurent.

(Jean Follain, Usage du temps)

14 août 2006

Tour de clé

HODIE

Et pas rituels dans la nuit.


Je me tourne vers toi,
au lit ou dans la vie,
et je découvre que tu es faite d'impossible.

Je me retourne alors vers moi
et je vois la même chose.

C'est pour cela
que bien qu'aimant le possible,
nous finirons par l'enfermer,
pour qu'il n'empêche plus cet impossible
sans lequel nous ne pouvons vivre ensemble.

(Roberto Juarroz, Poésie verticale)

13 août 2006

Permis de sortie

HODIE

D'abord la langue.


à petits pas de pluie de chenilles
à petits pas de gorgée de lait
à petits pas de roulements à billes
à petits pas de secousse sismique
les ignames dans le sol marchent à grands pas de trouées d'étoiles
de trouée de nuit de trouée de Sainte
Mère de Dieu
à grands pas de trouée de paroles dans un gosier de bègue
orgasme des pollutions saintes
alleluiah

(Aimé Césaire, Les Armes miraculeuses)

12 août 2006

Liberté

HODIE

Une question sur la terrasse des oiseaux.


La graine s'ouvre
au point précis de toute graine.

Le merle sur le nid
se fixe en espace palpable.

Mais nous à la dérive
nos mains réunies sans mots pour prier
s'écartent vers le haut
laissant passer un grand corps d'ange timonier.

Nous glissons à sa suite
sans lieu sinon l'attente.

(Marie-Claire Bancquart, Sans lieu sinon l'attente)

11 août 2006

Tour d'Europe

OLIM

Sur les lames qui grincent.


Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d'un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,
Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats,

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;




Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C'est pour les coeurs mortels un divin opium !

C'est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !

(Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal)

10 août 2006

Ce n'est pas vrai que...

HODIE

Une main anonyme et tendre


Tu serais avec moi sous le masque
nous nous endormirions garrottés

corrodés par la sécheresse

momifiés dans la couleur


adossés à la toute-puissance
du modèle absent
toi, moi,
l'autre, le souffle qui se tresse

à l'insignifiance de l'air déchaîné


un vent machinique un vent
sans bourrasque ni accalmie

pour abattre une floraison
excessive, un barrage
de mots dans la nuit


et dégager le passage
d'un sommeil à vif

poussé au rouge

et la distorsion
des figures du sommeil

(Jacques Dupin, Le Grésil)

09 août 2006

Liste de bancs

HODIE

Visiteur d'échelle, tu as raison d'être pressé.

La solitude l'absence
Et ses coups de lumière
Et ses balances
N'avoir rien vu rien compris

La solitude le silence
Plus émouvant
Au crépuscule de la peur
Que le premier contact des larmes

L'ignorance l'innocence
La plus cachée
La plus vivante
Qui met la mort au monde.

(Paul Eluard, Capitale de la douleur)

08 août 2006

Broc

HODIE



L'âpre réalité : quelle fripouille n'est-elle pas parfois ! Elle vole des choses dont elle ne sait que faire ensuite.

(Robert Walser, L'Institut Benjamenta)

07 août 2006

Grains

HODIE

Sel, sable, beauté, folie, cherchez l'intrus.


Le grand schisme

Attention aux trésors que nul ne réclame
à l'écolier patient et taciturne
oublié depuis toujours dans un coin sombre
à l'écolier qui brusque ses rêves
qui adoucit la vie
qui forge une femme comme on grée un navire
qui voit au-delà du mur de clôture
au-delà des monts
au-delà des mers
qui serait déjà au bout du monde
si nous n'étions là pour lui parler de reflux

Attention à cette frange de folie pure
au front d'une châtelaine
et au froid des colonnes en marge de ses tempes
et à son cri où la nuit dépose
la fatigue des oiseaux

Attention à cette végétation éhontée
qui s'interpose entre les êtres
et qui leur donne enfin le droit
de se dire séparés.

(Georges Henein)

06 août 2006

Meccano

HODIE

Dans un sac de toile.


e, i, o, u, l'obscur prend l'os, la diagonale
noue du sens aux ombres et tend la corde vocale,

le sujet sort des choses en regardant leur nom
et maintenant qui suis-je au bord de deux images ?

mourir mâche dessous, je vois la castration
ouvrir l'o de l'oubli pour masquer le saccage.
ne pas croire le a qui promet le langage :
déjà il est trop tard et le i dans raison
emprisonne le cri de la partie sauvage.

mais qui allume les lettres à l'instant mortel ?
entre les jambes d'u ne se tapit aucune
nudité, tout reflue vers l'oeil et cherche ciel.

texte en avant ! l'érection syllabique est une
amorce à bouche, et pour cette fellation-là
l'auteur doit un cadavre qui ne sente pas.

(Bernard Noël, Extraits du corps)

05 août 2006

Entropie

HODIE

Fouillisphère


Qui a raison
ordre ou désordre ?

Ni l'un ni l'autre
et tous les deux.

Ce qui m'échappe
n'a pas de nom.

(Jean Tardieu, L'accent grave et l'accent aigu)

04 août 2006

Boule de cristal

HODIE
Ne compte pas sur moi pour te donner les clés du paradis.


Quand il ne nous reste plus rien,
le vide de ce qui ne reste plus
pourrait être à la fin inutile et parfait.

(José Angel Valente, Mandorle)

03 août 2006

Une journée de

OLIM

Ouvrir un oeil sur un cylindre de verre et partir pour toujours.


NATURE MORTE
Une bougie a laissé
tomber tout son
sperme
Au fond d'un plateau à
fraises
De Bière Mexicaine –
Une lame de rasoir
À tranchant unique
Partiellement cachée
Sous la lame d'un
Couteau à beurre
Abstrait de vieux
sacs à
dos –
Et une tasse en fer blanc.
C'est l'Histoire Matisse
D'un arrangement simple
D'objets naturels
Dans une chambre un Dimanche
Après-midi –
miettes
de poussière sèche
cendres noires.

(Jack Kerouac, Mexico City Blues)

02 août 2006

En attendant

HODIE

Très cher ennemi.


On peut écrire, et l'on écrit ;
On peut se taire, et l'on se tait.
Mais pour savoir que le silence
Est la grande et unique clef,
Il faut percer tous les symboles,
Dévorer les images,
Écouter pour ne pas entendre,
Subir jusqu'à la mort
Comme un écrasement
Le poids vivant de la parole.

(Armel Guerne, Le Poids vivant de la parole)

01 août 2006

Janus

HODIE

Pris entre deux chaises.


Tout mot appelle un autre mot.
Tout mot est un aimant verbal,
un pôle d'attraction variable
qui inaugure des constellations toujours nouvelles.

Un mot est tout le langage,
mais aussi le fondement
de toutes les transgressions du langage,
la base où toujours s'affirme un antilangage.

Un mot est encore l'homme.
Deux mots sont déjà l'abîme.
Un mot peut ouvrir une porte.
Deux mots l'effacent.

(Roberto Juarroz, Poésie verticale)