31 mai 2005

Saint-Thibaut

OLIM

Graine au vent doux des cloches et des épicéas.


Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon coeur, qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.

J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée,
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

(Paul Verlaine, Green)

29 mai 2005

Fouiner, sonder, pétrir

HODIE

Et quand dire, c'est faire ?


La poésie suggère donc un sens dont la structure lui est propre. Tandis que la signification rationnelle implique une notion qui peut se détacher des mots, qui ôte même toute importance aux mots et qui en dehors d'eux assure l'intelligibilité et la compréhension entre les êtres, la signification poétique est ce qui ne peut être séparé des mots, ce qui rend chaque mot important et qui se dénonce dans ce fait ou cette illusion que le langage a une réalité essentielle, une mission fondamentale : fonder les choses par et dans la parole.
C'est cela que suppose toute lecture d'une poésie comme celle de Mallarmé. Elle impose la croyance momentanée à la vertu sensible des mots, à leur valeur matérielle et au pouvoir qu'ils auraient d'atteindre le fond de la réalité. On croit instinctivement que le langage révèle dans la poésie sa véritable essence, qui est toute dans le pouvoir d'évoquer, d'appeler les mystères qu'il ne peut exprimer, de faire ce qu'il ne peut dire, de créer des émotions ou des états qui ne peuvent se figurer, en un mot d'être en rapport avec l'existence profonde plutôt par le faire que par le dire.
Et l'on comprend un poème non pas lorsqu'on en saisit les pensées ni même lorsqu'on s'en représente les relations complexes, mais lorsqu'on est amené par lui au mode d'existence qu'il signifie, provoqué à une certaine tension, exaltation ou destruction de soi-même, conduit dans un monde dont le contenu mental n'est qu'un élément.
On pourrait dire que la signification poétique se rapporte à l'existence, qu'elle est compréhension de la situation de l'homme, qu'elle met en cause ce qu'il est.

(Maurice Blanchot, Faux Pas)

28 mai 2005

Une croix si naïve

OLIM

Qu'ils se la gardent, leur poésie ! L'alcool et la cigarette sont tellement plus aimables.


Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets:
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables !

(Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal)

27 mai 2005

Plaisanterie musicale

OLIM

J'aime le son du cor, le soir, dans la grappa.

26 mai 2005

Des roses au creux du bois

OLIM

Chenilles vertes, herbe pelucheuse et satyres puants.


Il me faut l'enfant
....
Mais que vais-je penser ? Où est ma tête. Cette petite bête humaine, puis-je l'attirer de la sorte ? Faire agir les Mots, le Ton juste, la Musique peut-être ? Ai-je le droit de l'asservir ?
Je l'aime, je le sens ; c'est une chose tiède et dure, délicate et terrible, insoumise et fidèle.
C'est mon âme. C'est l'âme des hommes. Mais que sais-je, moi, de l'âme des hommes, de mon âme ?
...
Il est venu.
Si je l'avais attiré par les Charmes, il aurait perdu cette dignité. Les Charmes l'auraient dominé. Plus tard, il n'en eût pas été le maître. (On ne perd sa liberté qu'une fois, mais pour toujours.)
Il est venu.

(Henri Bosco, L'Âne Culotte)

25 mai 2005

Solipsisme

HODIE

Ne pas oublier les chatouilles !


Créer à l'intérieur de moi un état, une politique, des partis, des révolutions ; et que je sois tout cela, que je sois Dieu dans le panthéisme réel de ce peuple-moi, l'essence et l'action de ses corps, de ses âmes, de la terre qu'ils foulent et des actes qu'ils commettent. Être tout, eux et non-eux. Pauvre de moi ! Voilà encore un rêve que je ne peux réaliser.

(Fernando Pessoa, Fragments d'un voyage immobile)

24 mai 2005

Palace et cabine téléphonique

OLIM

Pas de Pierre.


S'il faut aller au cimetière
J'prendrai le chemin le plus long
J'ferai la tombe buissonnièreJ'quitterai la vie à reculons
Tant pis si les croqu'-morts me grondent
Tant pis s'ils me croient fou à lier
Je veux partir pour l'autre monde
Par le chemin des écoliers.

(Georges Brassens, Le testament)

23 mai 2005

J'ai maintenant des frênes

HODIE

Il suffit de changer de pH,
C'est tout de suite l'aventure.


Là je revêts l'arbre dont le nom change de feuilles, désormais une place dans le fort du coeur parmi les cercles de l'aubier... le vent dont je suis ivre sans que le pied me bouge... ô l'idée que je me fais des concentrations de passereaux, l'idée à rendre par les fruits ! Tout instant me déchaînera, je pense à des crépitades printanières à des crises de résine à des folies d'akènes... chaque nuage épluché... je veille au grain, ma mémoire sent sa première pluie. On m'ausculte, ainsi le pivert. Certains respirent dans mon armure de lichen. Au creux de moi repose l'oiseau de nuit à trois paupières. -- Au point du jour, les larmes de l'aiguail. Par brume, un décousu de rêves comme les filandres... -- Et autant de planches d'appel que de branches : je délègue des ailes ! Je passe de verdoyance à mordorure en me jouant. S'il y a un nouveau monde, c'est celui-là et je ne suis, bonheur vertical, pas autre chose ! l'arbre ! l'arbre ! hors de la terre, et ses tons de quête...

(Henri Pichette, Épiphanies)

22 mai 2005

Tableau noir

OLIM

La Troisième République et le moteur à explosion !


Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

(Arthur Rimbaud, Poésies)

21 mai 2005

Le merveilleux en rouge et noir

OLIM

Des bouquettes pour chapeaux...


A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
ça noircit le blanc de l'œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un p'tit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.

(Jacques Prévert, Paroles)

20 mai 2005

Panique

OLIM

Et si la maison partait un jour sur un nuage ?


Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison
Plus de fleurs au jardin,
Plus d'arbres dans l'allée ;
La serre des voisins
Semble s'être envolée.
Et je ne sais vraiment
Où peut s'être posé
Le moineau que j'entends
Si tristement crier.

(Maurice Carême)

19 mai 2005

Brique solitaire

OLIM

Ma seule ancre.


Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

(Victor Hugo, Les Contemplations)

18 mai 2005

Apprendre à déchiffrer son écriture

HODIE

Qu'est-ce que tu entends par « tempérament artiste » ?


Ils disent des mots qui leur restent au coin des yeux ;
Ils suivent une route où les maisons leur sont fermées ;
Ils allument parfois une lampe dont la clarté les met en pleurs ;
Ils ne se sont jamais comptés, ils sont trop !
Ils sont l'équivalent des livres dont la clé fut perdue.

(René Char, Fureur et mystère)

17 mai 2005

Et la grammaire fut

OLIM

Un vieux caillou dans ma chaussure.


Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vespree
Les plis de sa robe pourpree,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las, las, ses beautez laisse cheoir !
O vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez cueillez vostre jeunesse:
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

(Ronsard, A Cassandre)

16 mai 2005

Univers inabordable

OLIM

Orage sous toit orange, cafard et peau de banane.


On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh ! comme il est doux d'arracher brutalement de son lit un enfant qui n'a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux ! Puis, tout à coup, au moment où il s'y attend le moins, d'enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu'il ne meure pas; car, s'il mourait, on n'aurait pas plus tard l'aspect de ses misères. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que l'éternité dure, l'enfant pleure.

(Lautréamont, Les Chants de Maldoror)

15 mai 2005

Un coffre à musique

OLIM

La mort rouge vif et translucide, tournoyant follement au soleil.


- Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions et les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: « Ma fleur est là quelque part... » Mais si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient ! Et ce n'est pas important ça !

(Saint-Exupéry, Le Petit Prince)

14 mai 2005

Faune

OLIM

Tout dans les livres, rien dans la maison.


Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.

(Apollinaire, Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée)

13 mai 2005

Au commencement était l'étoile

OLIM

Au hasard de la mémoire : Balthazar et ses moutons, l'étoile à guetter, et la Petite Sirène en guise de destin.


Ver luisant, tu luis à minuit,
Tu t'allumes sous les étoiles
Et, quand tout dort, tu t'introduis
Dans la lune et ronges sa moelle.

La lune, nid des vers luisants,
Dans le ciel continue sa route.
Elle sème sur les enfants,
Sur tous les beaux enfants dormant,
Rêve sur rêve, goutte à goutte.

(R. Desnos, Chantefables et Chantefleurs)