30 avril 2007

Erreur d'un jour

.
Fait pour les vacances




« Pins et sable » : c'est toujours, où que l'on trouve cet accord, comme si on allait respirer, apercevoir la mer. L'idée du plaisir brûle et court, les pieds nus, entre ces troncs ; il y a la place, rien n'arrête les pas ni la vue. Le sable a la couleur d'un feu qui dormirait, qui se serait replié en sommeil, d'un incendie changé en lit ; alors, nos corps seraient reçus par ces flammes alanguies, par cette souple poudre de feu, sous les hauts éventails verts, couleur d'ombre, qui, si leurs plumes sèchent et tombent, ne font qu'ajouter aux draps du sable une couche à peine moins rose, à peine moins tendre.

(Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes)
.

29 avril 2007

Fouiller le coffre

.
Dans la salle d'attente


Qu'est-ce que, pratiquement, je poursuis ?
— La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme tout autre, à une île où les conditions d'existence ne cessent d'empirer — serait mon vade-mecum de naufragé, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d'outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n'aurai pas le coeur d'apporter le catégorique remède).
... Ou plutôt ce qui me facine, c'est moins le résultat, et le secours qu'en principe j'en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n'est tout compte fait qu'un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au-dehors de moi, quoi d'autre que ce hobby pourrait m'empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se laisser glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

(Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia)
.

28 avril 2007

104

.
Fils d'antimoine


Il y a un grand plaisir — immense — à être lucide, à jeun, clair, là. Un autre, à être saoul, fou, démâté, quoique toujours là, de même. Tout est là.

(Georges Perros, Papiers collés 3)
.

27 avril 2007

1 m³

.
Passez donc un soir...


Chaque nuit, à l'heure où le sommeil est parvenu à son plus grand degré d'intensité, une vieille araignée de la grande espèce sort lentement sa tête d'un trou placé sur le sol, à l'une des intersections des angles de la chambre. Elle écoute attentivement si quelque bruissement remue encore ses mandibules dans l'atmosphère. Vu sa conformation d'insecte, elle ne peut pas faire moins, si elle prétend augmenter de brillantes personnifications les trésors de la littérature, que d'attribuer des mandibules au bruissement. Quand elle s'est assurée que le silence règne aux alentours, elle retire successivement, des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s'avance à pas comptés vers ma couche. Chose remarquable ! moi qui fais reculer le sommeil et les cauchemars, je me sens paralysé dans la totalité de mon corps, quand elle grimpe le long des pieds d'ébène de mon lit de satin. Elle m'étreint la gorge avec les pattes, et me suce le sang avec son ventre. Tout simplement ! Combien de litres d'une liqueur pourprée, dont vous n'ignorez pas le nom, n'a-t-elle pas bus, depuis qu'elle accomplit le même manége avec une persistance digne d'une meilleure cause ! Je ne sais pas ce que je lui ai fait, pour qu'elle se conduise de la sorte à mon égard. Lui ai-je broyé une patte par inattention ? Lui ai-je enlevé ses petits ? Ces deux hypothèses, sujettes à caution, ne sont pas capables de soutenir un sérieux examen ; elles n'ont même pas de la peine à provoquer un haussement dans mes épaules et un sourire sur mes lèvres, quoique l'on ne doive se moquer de personne. Prends garde à toi, tarentule noire ; si ta conduite n'a pas pour excuse un irréfutable syllogisme, une nuit je me réveillerai en sursaut, par un dernier effort de ma volonté agonisante, je romprai le charme avec lequel tu retiens mes membres dans l'immobilité, et je t'écraserai entre les os de mes doigts, comme un morceau de matière mollasse. Cependant, je me rappelle vaguement que je t'ai donné la permission de laisser tes pattes grimper sur l'éclosion de la poitrine, et de là jusqu'à la peau qui recouvre mon visage ; que par conséquent, je n'ai pas le droit de te contraindre. Oh ! qui démêlera mes souvenirs confus ! Je lui donne pour récompense ce qui reste de mon sang : en comptant la dernière goutte inclusivement, il y en a pour remplir au moins la moitié d'une coupe d'orgie.

(Lautréamont, Les Chants de Maldoror)
.

26 avril 2007

Nuit blanche

.
Travaux forcés en questions.




Choix de références

Attou, J. & Ratathou, F. Laminar configuration of the thalamo-tomatic relay nuclei. Experimental study with Fink-Heimer-Gygax methods. In: The Hyperthalamus, ed. by V. Cointreau and M. Brizard, Cambridge, Oxford U.P., pp32-88, 1974.

Beulott, A., Rebeloth, B & Dizdeudayre C.D. Brain designing. Chateauneuf-en-Thymerais, Institute of advanced studies (vol. 17), 1974.

Chou, O. & Lai, A. Note on the tomatic inhibition in the singing gorilla. Acta Laryngol. 8, 41-42, 1927b.

Colle, E., Etahl, E. & Others, S. Leguminase pathways in the brain. A new theory. J. Neurochem. Neurocytol. Enzymol. 1, 8-345, 1973.

Heinz, D. Biological effects of ketchup splatching. J. Food Cosmet. Ind. 72, 42-64, 1952.

Karryb, H. & Szÿlâ, H. Of birds and men : calling strategies and humming responses. Biol. Gaz. Elec. 73, 19-73, 1973

Mason, H.W. & Rangoun, S.W. Paratrigeminaloid musicalgia. In: 3rd Conference on the Rimsky-Korsakoff syndrome, ed. by T. Thanos & P. Roxydase, Springfield, Ill., C.C. Thomate, pp. 31-57, 1960.

Others, S., Colle, E. & Etahl, E. The enzymase enigma revisited. Am. J. Allegrol. 43, 234-567, 1974.

Sornette, U. & Billevayzé, H. Les stomatites tomateuses. Arch. municip. Météorol. lyr. Déontol. music. 264, 14-18, 1925.

Tarama, K. Acid-base balance, pHD Thesis, San Francisco, 1957.

Zeeg, O. & Puss, I.K. On the fanatic demonstrations of music lovers. J. behav. developm. Psychobiol. 31, 1-13, 1931.

(Georges Perec, Experimental demonstration of the tomatopic organization in the Soprano (Cantatrix sopranica L.))
.

25 avril 2007

Sieste

.
Chaise longue au soleil et plaid coloré.


L’Écosse s’est voilée de ses brumes classiques,
Nos plages et nos lacs sont abandonnés ;
Novembre, tribunal suprême des phtisiques,
M’exile sur les bords de la Méditerranée...

J’aurai un fauteuil roulant « plein d’odeurs légères »
Que poussera lentement un valet bien stylé
Un soleil doux vernira mes heures dernières,
Cet hiver, sur la Promenade des Anglais...

Pendant que Jane, qui est maintenant la compagne
D’un sain et farouche éleveur de moutons
Émaille de sa grâce une prairie australe
De plus de quarante milles carrés, me dit-on,

Et quand le sang pâle et froid de mon crépuscule
Aura terni le flot méditerranéen,
Là-bas, dans la Nouvelle Galles du Sud,
L’aube d’un jour d’été l’éveillera... C’est bien !...

(Henry J.-M. Levet, Cartes postales)
.

24 avril 2007

Feuilles de tabac

.
Toute acquisition, etc.


[...] ce cas extrêmement étrange, dont nous parle Thomas de Quincey : un écrivain qui fumait tout ce qu'il écrivait sur du papier à cigarettes. Puis il disait : « Et alors ? L'important, c'est que ces choses aient été créées ; elles ont été créées, donc elles existent. »

(Enrique Vila-Matas, Le Voyageur le plus lent)
.

23 avril 2007

A day in the life

.


...........................Monologue, s.v.p.
...........................(Il arrive, reste une minute profondément
...........................absorbé, tire un flacon de sels de son chapeau
...........................claque, le hume convulsivement à sept reprises,
...........................puis commence, si résigné.)

Ayant quitté mon lit... peuh... à l'heure ordinaire,
J'ai très-spontanément caché mon pauvre corps
— Après avoir lavé ce qu'on laisse dehors —
Sous des choses en drap d'une coupe arbitraire.

......................Et je n'étais pas le seul !

Dans une maison... propre, un être m'a coiffé
Puis rasé (menaçant !) sans me faire d'entailles,
Et je lui ai remis de petites médailles,
Car j'avais remarqué que c'est ainsi qu'on fait.

......................Et je n'étais pas le seul !

Dans une autre... maison, j'ai devant une... table,
Mangé des plantes cuites et puis de la chair
De bêtes des forêts, du ciel et de la mer, Et bu.
(Tout ce qu'ici j'avance est véritable).

......................Et je n'étais pas le seul !

Je rencontrais des gens. Nous nous félicitions
De nous voir. Être au monde, au fond, simple aventure ?
Puis des dames, parfois plus belles que nature,
Qui me causaient... différentes impressions.

......................Et je n'étais pas le seul !

Puis encor des gens pas plus que moi z'insolites ;
Des affiches — Des boîtes à chevaux pensifs ;
Et des vendeurs de tout, sachant mille tarifs !
leur donnais parfois des médailles susdites.

......................Et je n'étais pas le seul !

J'ai parlé au passé, au présent, au futur !
J'ai appris divers faits dont j'ai flairé les causes !
À mon tour j'ai soutenu mille et mille choses
De tout ordre, et d'un air exorbitamment sûr.

......................Et je n'étais pas le seul !

Puis remangé. Puis dans les lieux où je travaille,
Écrit des faits historiques mais compilés,
Et des messieurs prudents, là, m'ont renouvelé
D'une provision de petites médailles.

......................Et je n'étais pas le seul !

Enfin, dévêtu, je me suis, acte peu subtil
Réintégré entre mes draps. — Que de choses ! j'y rêve...
Pourtant l'Humanité ne peut se mettre en grève
N'est-ce pas ? Alors, quoi ? rien (furioso) — Ainsi soit-il.

............................(Muet, immobile, il couve ces gens de ses
...........................yeux mélancoliques, fait un geste d'universelle
...........................résignation — et se fond.)

(Jules Laforgue, Les Complaintes)
.

22 avril 2007

Philosophique

.

Dans quel sens le bus roule-t-il ?


.....Les grandes villes seules peuvent présenter à la spiritualité phénoménologique les essentialités des coïncidences temporelles et improbabilistes. Le philosophe qui monte parfois dans l'inexistentialité futile et outilitaire d'un autobus S y peut apercevoir avec la lucidité de son oeil pinéal les apparences fugitives et décolorées d'une conscience profane affligée du long cou de la vanité et de la tresse chapeautière de l'ignorance. Cette matière sans entéléchie véritable se lance parfois dans l'impératif catégorique de son élan vital et récriminatoire contre l'irréalité néoberkeleyienne d'un mécanisme corporel inalourdi de conscience. Cette attitude morale entraîne alors le plus inconscient des deux vers une spatialité vide ou il se décompose en ses éléments premiers et crochus.
.....La recherche philosophique se poursuit normalement par la rencontre fortuite mais anagogique du même être accompagné de sa réplique inessentielle et couturière, laquelle lui conseille nouménalement de transposer sur le plan de l'entendement le concept de bouton de pardessus situé sociologiquement trop bas.


(Raymond Queneau, Exercices de style)
.

21 avril 2007

Oubli

.
Au diable bûche, loir et marmotte !


.....Et Chemin, dans son atelier, continuait à peindre son tableau où il ne mettait que des couleurs claires : alors il s'étonnait de voir qu'elles éclairaient toujours moins.
.....Il continuait à se tenir devant son tableau où toutes les choses étaient belles ; c'était, sur son tableau, comme si elle ne l'étaient plus.
.....Tout était trop beau, à présent. Ce n'était plus comme dans l'ancienne vie. Autrefois, dans cette ancienne vie, on avait un coeur qui était comme le ciel, c'est-à-dire le plus souvent gris, tandis qu'à présent chaque jour le soleil entrait par les vitres, faisant fidèlement briller autour de Chemin les objets taillés dans le beau mélèze rose ou dans le coeur de sapin qui sent bon. Autrefois, on n'était presque jamais content de soi, un jour tous les dix jours tout au plus, une fois toutes les deux semaines. Les dimanches du coeur étaient rares en ce temps-là. Chemin tapotait contre l'établi sa pipe restée à moitié pleine. On n'avait goût à rien, on n'avait même pas goût à son tabac, parce qu'on n'avait pas goût à soi-même. L'oiseau inutilement poussait pour vous son petit cri qu'on aime, l'arbre tourné vers vous agitait inutilement sa branche comme une main. Chemin allait s'asseoir dans un coin, il posait ses coudes sur ses genoux, il laissait aller sa tête en avant. Ainsi était Chemin, dans cette ancienne vie, à cause d'un coeur délicat, un coeur trop délicat pour la dure vie que c'était, un coeur qui se cherchait toujours sans jamais se trouver, tandis qu'à présent... Mais alors, qu'est-ce qu'il se passe ?
.....Pendant que Chemin tenait son pinceau et allait avec son pinceau, qu'est-ce qu'il se passe au fond de lui ? et qu'est-ce que c'était que cette espèce de regret qui s'y levait, comme la bête en bougeant fait monter la vase au fond de la mare ?

(Charles Ferdinand Ramuz, Joie dans le ciel)
.

20 avril 2007

Aux aguets

.
La suite, et vite !




.....Elles n'ont pas duré.

.....Tout juste le temps d'être de petites balles, de petits globes lisses et denses, quelques jours ; puis, cédant à une poussée intérieure, de s'ouvrir, de se déchiffonner, comme tant d'aubes autour d'un poudroiement doré de soleil.
.....Comme autant de robes, si l'on veut. Si vous y incite l'insistante rêverie.

.....Opulentes et légères, ainsi que certains nuages.

.....Une explosion relativement lente et parfaitement silencieuse.

.....La grâce dérobée des fleurs.

(Philippe Jaccottet, Cahier de verdure)
.

19 avril 2007

Livre d'images

.
Ouvert si tard


Ce matin mon Dictionnaire est devenu fou. Je l’ouvre à la page D (page 985) ; au lieu de trouver le mot DA (interjection attestée sous la forme diva), je tombe sur bouche qui n’a rien à faire dans cette page. En outre je n’ai pas besoin de consulter un dictionnaire pour savoir ce que ce mot signifie. Non seulement il est devenu fou, mais il se moque de moi.
Je le referme et attends que les choses se remettent en place. Après un moment, je l’ouvre à la page 561, celle où débute la lettre C. Je lis : ça : adv. et inter. Attesté en 1080, résulte de l’évolution phonétique du latin ecce hac. Tout a l’air normal. Je me reporte à la page 985. Il me propose le mot timbale. J’appelle M. Alain Rey qui dirigea l’équipe du dictionnaire historique de la langue française Le Robert et lui raconte mes Déconvenues. Cet homme charmant et généreux me dit : c’est normal, on a eu beaucoup de Difficultés et de Déconvenues très Désagréables et Désastreuses avec la lette D, lettre Défigurée à jamais par le Diable qui y Détient à mon insu tous les Droits. Pour vous en sortir, allez à la lettre S et attendez que les mots se Dégagent de ce Détournement qui est une Détresse pour Dous et pour Dous, je veux Dire pour vous et nous !
La lettre S était dans tous ses états : Satan a attaqué tous les saints et saintes. Je n’ai pas voulu déranger de nouveau l’excellent M. Rey.

(Tahar Ben Jelloun, Jénine et autres poèmes)
.

18 avril 2007

hydro

.
Qui inventera la nage pour cette eau-là ?


Chaque jour
je reçois de moi-même
ce que l'usage est d'appeler
de « mauvaises nouvelles »
et ces lettres bordées de noir
je les déchire
je les jette aux corneilles

Chaque aube
dans la forêt que j'avais plantée
je m'égare
jusqu'à l'arbre seigneurial
jusqu'à la plus haute branche
jusqu'au plus ancien souvenir
et je m'y pends

Chaque matin
je me porte en terre
mais je suis seul à marcher derrière moi
maigre cortège
dans ces campagnes obscures
qui n'ont ni horizon ni forme

Chaque midi je renais
et je creuse
d'autres chantent moi je creuse
cela fait quelques années déjà
suis bien enfoui dans ce terrier magique
ne perçois plus vos voix
et pour mes oreilles aujourd'hui
même le mot solitude
sonne comme une rumeur nombreuse
comme un refrain presque frivole

De la nuit à la nuit je fouille la montagne
ombres m'entendez-vous ? m'entends-tu l'imposteur ?
m'entendez-vous creuser ? j'en atteindrai le coeur
où le rire et le sel ont la même saveur
j'en attendrai le coeur et le ferai sauter

(Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans)
.

17 avril 2007

Newton blanc

.
Premier jeu d'anneaux tremblants





Une nuit je voulus que les choses changent.
Alors je pensai qu'il y avait trop d'étoiles
dans le ciel
et pas assez de lumière en bas
dans la terre.
Ce fut quand je voulus faire tomber une étoile
sur cette taupe
pour diriger son nez.
Elle l'emporta sous terre
et elle l'essaya.
À présent, elle sort quelquefois
pour laisser son étoile parler aux autres étoiles
dans le ciel.
Il fait sombre là en bas
mais son nez voit où elle va.

(Partition rouge)
.

16 avril 2007

Inventaire

.
Deux ou trois peurs à jeter


Avec chacun de nous naît une
petite souffrance tout à fait indéterminée.
Nous lui donnons peu à peu un nom,
nous la nourrissons de sèves attentives
et de plus en plus clair est son contour
et de plus en plus aiguë sa forme.
Devant nous, en nous, l’agitation du monde.
Le cœur a pénétré le secret et s’est tu.
À quelqu’un nous avons mis dans les mains un bâton
et lui avons dit : gouverne !
Et nous avons fermé les fenêtres.
La mer murmurait quelque part au loin
et si mouillées étaient les mains de l’aube
que nous avons désiré briser les rochers,
trouver cette douleur encore tout à fait indéterminée.
Mais un nuage au-dessus de nous était assis
et avec un hameçon noir pêchait notre ombre.

(Vesna Parun, La pluie maudite et autres poèmes)
.

15 avril 2007

Soir

.
Le point final, celui qui m'a été imposé, qui peu à peu est devenu le mien, je le pose dans le silence, pieds nus.
.

14 avril 2007

Plus de neige

.
Dépendre du Ruisseau
Serait absurde pour la Source –
Que le Ruisseau – renaisse du Ruisseau –
Mais la Source – du Sol toujours sûr !

(Emily Dickinson, Quatrains)
.

13 avril 2007

On appelle ça montagne, ici

.
Quelques patineurs dans le pays d'à côté.


Entre deux rochers
Surplombant le vide
Le pin ivre d'écoute
Dira nos secrets

Oiseaux du matin
Ni brumes du soir
Jamais ne rompront
Le fil de nos voix

Voix échangées là
Au hasard d'un jour
Un jour par-dessus
Les années —
..........................lumière

(François Cheng, À l'orient de tout)
.

12 avril 2007

Un rêve

.
Des graines de palmier dans mon muesli.


J'étais sorti de mon corps endormi,
J'étais debout sous l'arbre à songes
Près de la citerne à souvenirs.
Le gardien me rappela que la pêche est
Interdite en cette saison et qu'il faut laisser
Mûrir les songes.

(Jean-Paul de Dadelsen, Les Vergers de Tombouctou)
.

11 avril 2007

Séries

.
Piles croissantes


Une espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité.

(Antonin Artaud, Le Pèse-nerfs)
.

10 avril 2007

Volts et voltes

.
Noir de noir


Alors, d'un siècle encore à venir,
Me regarderont avec insolence
Les yeux d'un inconnu,
Pour qu'à une ombre qui s'éloigne
Il donne une brassée de lilas mouillé
Dès que l'orage sera passé.

(Anna Akhmatova, Poème sans héros)
.

09 avril 2007

Am...

.
Encore une histoire de cheminée.


.....Il essaie d'écrire ce mot. Mais pourquoi les lettres ne se présentent-elles pas comme elles le devraient, sous sa plume ? Après le a, ce ne sont déjà plus que des chemins encaissés, des pierres à l'infini, blanches, menaçantes, qui sont tout de même peut-être la lettre m. Mais par la suite ! Des années ont passé, il cherche toujours à former la troisième lettre, et c'est en vain. On l'entoure, on a pitié de lui, on voudrait l'aider, ah, on y parvient ! Une grande main ferme guide la sienne, et voici que dans cette graphie qui n'est pourtant encore qu'oiseaux qui volent très bas avec tumulte et ténèbre il avance à nouveau, les yeux clos, les pieds cherchant dans des flaques, vers un soleil qui se lève.

.....Variante : il écrivait un mot, un de ces mots encombrés de pierres, barrés de ronces, c'était silencieux, c'était très noir sur la pente sans fin visible qu'il s'efforçait de gravir.
.....Et un jour, dans ce mot qui bifurquait, se perdait, recommençait, sentier toujours plus abrupt, grandes déceptions, grande tristesse, un jour, soudain, la terre se retira de sous son pied, l'horizon s'éclaira, des cimes parurent, et tout, comment dire ? riait, d'un rire qui n'était plus celui de plus tôt ou plus bas dans la parole, celui qui s'aveugle, raille, fait mal, détruit, mais une puissance montant de toutes parts dans les gouffres, les barrières rocheuses, les gaves du fond des vallées, bouillonnements immobiles, pour n'être plus rien ici, en haut, dans ce vaste pré en pente devant le ciel, que cette douceur, cet air frais, ces deux mains qui prenaient les siennes. L'enfance même, à nouveau, mais sans l'angoisse. L'évidence, comme lorsque les eaux se refermèrent sur Empédocle apaisé.

(Yves Bonnefoy, La Vie errante)
.

08 avril 2007

Vale

.
Retour d'un voyage de cordes.


Les livres, ce qu'il déchira,
La page dévastée, mais la lumière
Sur la page, l'accroissement de la lumière,
Il comprit qu'il redevenait la page blanche.

Il sortit. La figure du monde, déchirée,
Lui parut d'une beauté autre, plus humaine.
La main du ciel cherchait sa main parmi des ombres,
La pierre, où vous voyez que son nom s'efface,
S'entrouvrait, se faisait une parole.

(Yves Bonnefoy, Les Planches courbes)
.

07 avril 2007

Zéro

.
Qu'est-ce qu'on attend ? Une femme ? Deux arbres ? Trois drapeaux ? Qu'est-ce qu'on attend ? Rien.

(André Breton et Philippe Soupault, Les Champs magnétiques)
.

06 avril 2007

À quoi ?

.
Apprendre à pêcher


Dans les fleuves au nord du futur,
je lance le filet
qu'hésitant(e) tu alourdis
d'ombres écrites par
des pierres.

(Paul Celan, Renverse du souffle)
.

05 avril 2007

En montant

.
Dans l'ombre d'un chemin caillouteux


Yeux qui, croyant inventer le jour, avez éveillé le vent, que puis-je pour vous ? Je suis l'oubli.

(René Char, Fureur et mystère)
.

04 avril 2007

Y orné

.
Un petit quelque chose et des moutons.




Cendres de vieilles lettres avec des fragments d'écritures qui apparaissent encore çà et là ; on distingue « toute ma vie », « depuis la dernière fois », « j'attendrai » ; il devait y en avoir plus de cent, mais au moindre souffle cela se disperse, vole, s'échappe à travers la chambre, la fenêtre ouverte, et va rejoindre les rouleaux de la bibliothèsque d'Alexandrie, nuages.

(Michel Butor, Anthologie nomade)
.

03 avril 2007

Horizon

.
Toujours en chemin


Où finit le voyage ? En quel endroit de menace et de terreur
En quelle douceur de bras blancs et sourires
Dans quelle région où l'arbre aussi prend peur
Dans quel accomplissement souple de nature ?

Dans quelle éternité s'avancer en mémoire
Quel pardon s'accorder à soi-même blessé
Quel silence éprouver éternel effrayé
Et quel jugement dur après tant d'illusoires ?

Pierre Jean Jouve, Mélodrame)
.

02 avril 2007

Collectif

.
Cave rose sous le foyer


Oui, j'ai aimé ces réunions, la nuit,
Les verres glacés sur la petite table,
Le café noir et son parfum subtil,
La lourde chaleur du foyer en hiver,
L'agressive gaieté d'un bon mot d'écrivain
Et ce premier regard, désemparé, sinistre.

(Anna Akhmatova, Troupe blanche)
.

01 avril 2007

♪♫♪♫♫

.

.