04 juillet 2006

Songe, mensonge

HODIE

Trop facile...


Saisir quand tout me quitte,
Et avec quelles mains
Saisir cette pensée,
Et avec quelles mains
Saisir enfin le jour
Par la peau de son cou,
Le tenir remuant
Comme un lièvre vivant ?
Viens, sommeil, aide-moi,
Tu saisiras pour moi
Ce que je n'ai pu prendre
Sommeil aux mains plus grandes.

(Jules Supervielle, Le Forçat innocent)

03 juillet 2006

Autruche

HODIE

Quelle résistance à l'effacement ! Sacré monde !


Quand
Le brouillard
Ouvrit
Les yeux
Il vit
Que tout
Le regardait.

(Malcom de Chazal, Sens magique)

02 juillet 2006

Saut à l'élastique

HODIE

Qui voudrait la perdre ?


Les fusées
les idées
toujours
plus haut
font une brèche
dans la caverne
vers l'inconnu.

Il en revient
les retombées
qui nous ressemblent
souffrance et mort.

Toujours s'attache
à notre terre
l'inséparable
mobile et pâle
ombre de l'homme.

(Jean Tardieu, L'accent grave et l'accent aigu)

01 juillet 2006

Résiste !

HODIE

Garde des surprises et de l'ombre.


Que la gloire ne soit qu'une glissade, après la fin même, vers le non-recevoir indifférent qui clôt tôt ou tard le débat, on passerait encore. Ce qu'il y a de plus attristant avec les morts, c'est le peu de résistance qu'ils offrent à faire société. Quoi ! Est-il vraiment possible qu'ils aient été de si bonne composition ? Comment comprendre qu'ils s'emboîtent, qu'ils s'ajustent si bien, après — le creux de l'un moulé au saillant de l'autre — si tranquilles dans leur coin, et de bonne fréquentation — si dociles à la mise en place et aux règles de la perspective — si bien meublants ? Et cette complicité inavouable qui leur vient, cette veulerie soudaine à converser, à se glisser, d'une page à l'autre des manuels de littérature, des potins d'alcôve et des recettes de basse cuisine — tellement à l'aise entre eux au milieu de ce que Renan appelle « les petits bruits intimes du cercueil ». C'est ce qui enhardit les célébrateurs de centenaires ; n'importe qui peut faire ami avec eux ; on pense à ces « visites aux morts » malgaches où on va pique-niquer à la crypte, et où, au son d'un orchestre champêtre, les morts un peu rudement secoués sur leurs étagères valsent familièrement de bras en bras.

(Julien Gracq, Préférences)