01 juillet 2006

Résiste !

HODIE

Garde des surprises et de l'ombre.


Que la gloire ne soit qu'une glissade, après la fin même, vers le non-recevoir indifférent qui clôt tôt ou tard le débat, on passerait encore. Ce qu'il y a de plus attristant avec les morts, c'est le peu de résistance qu'ils offrent à faire société. Quoi ! Est-il vraiment possible qu'ils aient été de si bonne composition ? Comment comprendre qu'ils s'emboîtent, qu'ils s'ajustent si bien, après — le creux de l'un moulé au saillant de l'autre — si tranquilles dans leur coin, et de bonne fréquentation — si dociles à la mise en place et aux règles de la perspective — si bien meublants ? Et cette complicité inavouable qui leur vient, cette veulerie soudaine à converser, à se glisser, d'une page à l'autre des manuels de littérature, des potins d'alcôve et des recettes de basse cuisine — tellement à l'aise entre eux au milieu de ce que Renan appelle « les petits bruits intimes du cercueil ». C'est ce qui enhardit les célébrateurs de centenaires ; n'importe qui peut faire ami avec eux ; on pense à ces « visites aux morts » malgaches où on va pique-niquer à la crypte, et où, au son d'un orchestre champêtre, les morts un peu rudement secoués sur leurs étagères valsent familièrement de bras en bras.

(Julien Gracq, Préférences)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ah, le grand Julien Gracq...