31 octobre 2006

Samain

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Ce que vous cherchiez dans le noir


la poesie suggere
élastique pour castration
ardeur de la récalcitration
animal marin à trois coeurs opium jean coteau

Etoile solipsisme
laisser pousser ses ongles
FOTO DU FANTOME DE LA DAME BLANCHE
je veux une recherche sur l'eau avec la lange arabe

balafre neuf fleurs
enfermer un ennui
recherche mot tendre linge raide
ouvrir une porte secrète grâce à un procédé sonore
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30 octobre 2006

Hypocondrie

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J'veux tout !


Les annonces les plus nombreuses dans les journaux français concernent les produits pharmaceutiques ; l'huile de foie de morue, la revalescière, les pilules Raquin et autres, la graine de moutarde blanche, les capsules Mothes, l'iodure de fer, le phénol Boboeuf, le liniment Boyer -Michel, le tord-boyaux, l'insecticide Vicat, le véritable curaçao, le sirop Laroze, le quina Laroche, le chloral, les bains de mer à domicile, l'odontalgie, le cosmacéti, l'eau des fées, le charbon de Belloc, le sublimé, la vitamine Steck, la pommade des frères Mahon, les eaux de la Floride, le vinaigre de bully, les vésicatoires Leperdriel, le rob Boyeau-Laffecteur, les dentifrices de toutes sortes, l'eau de Cologne de Jean-Marie Farina, l'eau de mélisse des carmes, la pâte Regnault, le pinceau hémorroïdal, les savons aux mille fleurs, les cold-creams, les poudres de riz, la benzine Collas, la veloutine Fay, le blanc Rachel, les sirops antigoutteux, l'huile de Macassar, l'huile de marrons d'Inde, les vermifuges, les antiseptiques, les sirops dépuratifs se disputent la place à la quatrième page des journaux.

(Pierre Enckell, Que faire des crétins — Les Perles du Grand Larousse)
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29 octobre 2006

Avant la mauvaise saison

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Long, sans adagio, et toujours un chandelier


Nous nous sommes l'un et l'autre dévêtus
de noms qui collaient à la peau
appelant sans nom le silence
qui cimente les sons de la musique —

ô pure douleur du chant de naître
inapaisable travail sans visage
et nous-mêmes nuages et paroles
allant avec les bêtes du soir
dans les poudres de l'étendue —

(Lorand Gaspar, Patmos)
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28 octobre 2006

Errance et fragments

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Solutions de continuité, vieux champ de mottes.


Je tirai le livre, le Philoctète de Sophocle, et je lus. Je voulais me fuir moi-même et ne faisais que courir après moi : je lisais ligne à ligne, signe après signe, comme j'avais fait pour ces ruines alentours. Non que mon esprit fût accaparé au point de ne pas comprendre ce qu'il lisait : chaque vers me paraissait clair, intelligible ; mélodieuses et terribles s'élevaient dans les airs les lamentations de l'homme solitaire. Je sentais tout le poids de cette détresse et en même temps la sensibilité et la pureté incomparable du vers de Sophocle. Mais entre tout et moi se glissait de nouveau ce voile verdâtre, le même soupçon me rongeait, et cette révolte de mon être intérieur. Ces dieux, leurs sentences, ces hommes, leurs actes, cela me restait étranger au-delà de toute mesure, fallacieux, vain. Ils semblaient, ces personnages, tandis qu'ils parlaient sous mes yeux, changer de visage. Ils agissent, ils trompent — se trompent-ils eux-mêmes ? Le fils d'Achille croit-il ce qu'il dit ? Tantôt j'avais l'impression qu'Ulysse avait pris son âme candide dans ses ruses, tantôt qu'il consentait à se faire son complice. Que faut-il comprendre quand il se révolte soudain contre lui et promet à Philoctète son retour ? Il n'y a pas de navire pour le ramener. Que se passe-t-il en lui ? Les autres veulent dérober au malade son arc ; mais ils n'ignorent pas que même sans Philoctète la ville ne peut tomber. Savent-ils que ce qu'ils font est vain, vains aussi ces discours astucieux, et ne se l'avouent-ils pas ? Tout cela était singulier au plus haut point, impénétrable. Je ne pouvais continuer ma lecture. Je laissai le livre. Une brise se leva, elle caressa la colline et tourna les pages du livre qui reposait à terre. Il y eut en même temps une odeur de fraises et d'acacias, de blés mûrs, de poussière des routes, de pleine mer. J'éprouvais les sortilèges de cette odeur, dans laquelle le paysage tout entier se résumait ; un paysage qui baignait dans le souffle remonté du fond des siècles, un air où l'or de l'éternité semblait s'être dissous. Mais je ne voulais pas m'y abandonner. Je me penchai, ramassai le livre et m'apprêtai à partir.

(Hugo Von Hofmannsthal, Instants de Grèce)
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27 octobre 2006

Dilemme

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À quel saint se vouer ?


Au long des danses de la nuit,
Poserai-je jamais mon pied blanc
Dans le bond bachique jetant
Ma nuque dans la rosée
De l'éther, comme un faon
Dans les verts plaisirs de la prairie,
Quand, fuyant l'angoisse
De la chasse, il a échappé aux gardes,
Par-dessus les filets bien noués,
Et que le maître tonitruant
Pousse au plus fort la course de ses chiens ;
Il peine à la vitesse des tempêtes,
Il file à travers les plaines
Aux bords du fleuve. Il jouit
Des lieux sans hommes et de la verdure
À l'ombre de la forêt chevelue.

(Euripide, Les Bacchantes, Trad. de J. et M. Bollack)






Ainsi ai-je eu des danses nocturnes,
je ferai donc de nouveau dans l'ivresse
rebondir mes pieds blancs.
Je jetterai ma gorge
dans l'air que fraîchit la rosée,
pareille au faon qui s'ébat
dans la joie verdoyante des prés,
lorsque, les traqueurs évités,
il échappe à la chasse terrible,
franchit les filets bien tendus,
pendant que le chasseur
précipite en criant
la course de ses chiens.
Par l'effort de ses élans rapides,
le faon, comme la tempête, bondit
à travers la plaine
riveraine du fleuve,
se réjouit des lieux
désertés par les hommes,
et des jeunes pousses
de la forêt
à la feuillée ombreuse.

(Euripide, Les Bacchantes, Trad. de M. Meunier)
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26 octobre 2006

Cycles

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Pour celui qui part
pour celui qui reste —
deux automnes

(Yosa Buson)

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25 octobre 2006

Chute de feuilles

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Limbes froids


Le plus vil de tous les besoins – celui de la confidence, de la confession. C'est le besoin, pour l'âme, de se faire extérieure.
Avoue, certes ; mais avoue ce que tu n'éprouves pas. Libère ton âme, certes, du poids de ses secrets, en les révélant ; mais heureusement que ces secrets, révélés maintenant, tu ne les as jamais eus. Mens-toi bien à toi-même avant de dire cette vérité. Exprimer, c'est toujours se tromper. Sois conscient : qu'exprimer, pour toi, ce soit mentir.

(Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité)
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24 octobre 2006

Novembre

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La mer
du
Nord
peut-elle
se tromper ?

L'avez-vous envisagé fût-ce un instant
lorsque
contre elle
vous marchiez, effec-
tuant un mouvement de bras
dans le cercle de lune forcément mélancolique ?

une mer
une plage
un apprenti goéland !

Était-il possible à un homme revenu de guerre couvert de blessures de guerre
d'apprendre, de nouveau, à actionner sa pensée non dans l'espoir de je ne sais
quelle victoire
mais pour la vie réelle ?

À cela, elle répondait d'une manière exemplaire.

Plage verrouillée.
Ciel clouté.
Sable d'étouffe.
Brise-lames aiguisés.

Avec seulement ce mouvement régulier d'un concerto pour âme seule.

(Franck Venaille)

23 octobre 2006

Juste un joint

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Jaune puis gris



il y a peu d’espace devant

le ciel bleu calme par-dessus rétrécit
doucement à mesure que le mur boucle
bloque un peu plus de tête
et de réel

lentement attaquer le mortier
devenir lierre forcer faire
passer entre le temps en blocs
un peu de bleu
dans la bouche on peut

extraire l’air du mur
ou s’écraser
le choix est simple

il reste à faire
dans l’asphyxie qui vient

(Antoine Emaz, Une salve d'avenir)

22 octobre 2006

Rien de rien

HODIE

S'il te plaît.


monte du mensonge de non
une vérité de oui
(pourtant rien qu'elle et qui
est sans limitation)

démontrant aux simplets
(tel moi l'hiver) qu'esprit
et matière grise unis
ne valent pas une violette

(Edward Estlin Cummings, 95 poèmes)

21 octobre 2006

Bévue

HODIE

Zut ! Zut !



Je l'ai lâchée, cria triomphalement Anatole ; elle était bête comme un litre vide, et laide ! De la gorge ? Oui, deux lentilles sur une assiette ! Des yeux ? Des pruneaux dans du blanc d'oeuf ! Et avec cela, quand elle ouvrait la bouche pour jaser, elle faisait l'absinthe ! Merci bien, si c'était un bijou, il n'avait pas le poinçon de la monnaie ! J'aime pas le toc, moi, je veux du vrai !

(Joris-Karl Huysmans, Les Soeurs Vatard)

20 octobre 2006

Main

HODIE

En quête d'une éponge douce.


Une fois,
je l'ai entendu,
il lavait le monde,
non vu, à longueur de nuit,
vraiment.

Un et Infini,
anéantis,
disaient Je.

Lumière fut. Sauvetage.

(Paul Celan, Renverse du souffle)

19 octobre 2006

22,4 l

HODIE

L'insupportable est-il un gaz parfait ?


Ce que j'essaie de me dire m'échappe au fur et à mesure. Et ce qui m'échappe représente peut-être aussi l'évaporation de l'insupportable, en trop dans mon corps.

(Bernard Noël, Le 19 octobre 1977)

18 octobre 2006

Inside

HODIE



Oui Monsieur
oui vous êtes
mort
C'est ainsi du moins
que votre lettre de
faire-part
——
et rire au-dedans
de moi — affreux !
en écrivant ceci comme
le vôtre —
vous qui verrez
bien, ô mon — bien
aimé — que
si je ne pouvais
vous étreindre
vous presser en
mes bras
— c'est que vous étiez
en moi

Cher compagnon des
heures que je disais
mauvaises, et non
moins plus tard de celles
que plus tard je dis

(Stéphane Mallarmé, Pour un tombeau d'Anatole)

17 octobre 2006

Répulsion magnétique

HODIE

Caché en son brouillard, quel destain ?


Le fleuve qui passe perdure
Dans les vagues de ce passage,
Et chaque vague figure
L’instant d’un lieu.

Suivant son cours, peut-être continue-t-il…
Mais la vague qui vient de passer
Dans sa course devient une autre.
Elle ne continue pas : elle a duré.

Quel est l’être qui subsiste
Derrière ces formes apparentes,
La vague qui en rien ne consiste,
Le fleuve qui n’est que passage ?

Je ne sais, et ma pensée non plus
Ne sait si elle est,
Comme la vague en son moment
Comme le fleuve...

(Fernando Pessoa, Cancioneiro)

16 octobre 2006

Chalumeau

HODIE

Envol de bulles...


Le monde qui vient à notre rencontre
nous murmure les contours
des arbres qui bruissent à l’horizon
et grandissent des ombres courbées.

Assieds-toi sur le seuil
et attends
que le soir se déplace.

Enfin, de nouveau, chacun seul
avec son monde étranger.
Les voyageurs ont perdu le souvenir
du vrai pays natal et, apeurés,
s’appellent
de noms inconnus.

(Vesna Parun, La pluie maudite et autres poèmes)

15 octobre 2006

Sauter la clôture

OLIM

Trouble et plaisir





Depuis vingt ans, Dutilleul commençait ses lettres par la formule suivante : « Me reportant à votre honorée du tantième courant et, pour mémoire, à notre échange de lettres antérieur, j'ai l'honneur de vous informer... » Formule à laquelle M. Lécuyer entendit substituer une autre d'un tour plus américain : « En réponse à votre lettre du tant, je vous informe... » Dutilleul ne put s'accou­tumer à ces façons épistolaires. Il revenait malgré lui à la manière traditionnelle, avec une obstination machi­nale qui lui valut l'inimitié grandissante du sous-chef. L'atmosphère du ministère de l'Enregistrement lui deve­nait presque pesante. Le matin, il se rendait à son travail avec appréhension, et le soir, dans son lit, il lui arrivait bien souvent de méditer un quart d'heure entier avant de trouver le sommeil.
Ecœuré par cette volonté rétrograde qui compromettait le succès de ses réformes, M. Lécuyer avait relégué Dutilleul dans un réduit à demi obscur, attenant à son bureau. On y accédait par une porte basse et étroite donnant sur le couloir et portant encore en lettres capi­tales l'inscription : Débarras. Dutilleul avait accepté d'un cœur résigné cette humiliation sans précédent, mais chez lui, en lisant dans son journal le récit de quelque sanglant fait divers, il se surprenait à rêver que M. Lécuyer était la victime.

(Marcel Aymé, Le Passe-Muraille)

14 octobre 2006

Père Marabout

OLIM

Partage bleu acier




Comme on aurait pu s'y attendre, un jour, l'homme préhistorique aperçut par hasard son reflet dans l'eau lisse d'un étang. Il se trouva beau et en conçut un indiscutable sentiment de vanité qui lui donna de l'assurance, de l'égocentrisme, de quoi réveiller toute l'agressivité enfouie en lui.
L'histoire de l'humanité venait secrètement de commencer.

(Jacques Sternberg, 188 contes à régler)

13 octobre 2006

Virer une moitié

HODIE

Riche quart de tour


J'ai peu de souffle et peu de force et moins d'élan
Mais je ne me presse plus J'ai bien le temps d'attendre
Depuis qu'il se fait tard j'ai du temps devant moi
Je suis comme celui qui a fait sa journée
et réfléchit assis les mains à plat sur les genoux
aux choses qu'il veut faire et fera en leur temps

si la source du temps lui compte encore des jours

(Claude Roy, À la lisière du temps)

12 octobre 2006

N'en faire qu'à sa tête.

HODIE

Un air qui vous trotte dans la cervelle.


Pour une tête de noble poulain
qui juste à la ligne rate son arrivée
et qui, au retour, a l'air de dire :
N'oublie pas, frère, tu sais, il ne faut pas jouer...

Pour une tête, coup de foudre d'un jour,
pour cette coquette, cette friponne de femme
qui jure en souriant l'amour qu'elle retient,
et brûle sur un bûcher tout mon dévouement.

Pour une tête,
toutes les folies,
le baiser de sa bouche
efface la tristesse,
soulage l'amertume.

Pour une tête
et si elle m'oublie,
que m'importe de perdre
la vie mille fois...
Pour quoi vivre...

Combien de déceptions, pour une tête
mille fois j'ai juré de ne pas insister à nouveau,
mais quand un regard me blesse au passage,
sa bouche de feu, à nouveau, je veux la prendre.

Assez de courses, fini les tripots,
je ne revois plus de final disputé,
mais si je sais que quelque poulain a des chances dimanche,
je me joue tout entier,
qu'est-ce que je peux y faire...

(Alfredo Le Pera/Carlos Gardel, Les Poètes du Tango)

11 octobre 2006

Mue

HODIE

Attendue


Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête

La foule en tous les sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs

Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais

Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes

Les mannequins pour lui s'étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé
Au rabais l'habilla comme un millionnaire

Au dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées

Intercalées dans l'an c'étaient les journées neuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant

Puis dans un port d'automne aux feuilles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit

Les vents de l'Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'étaient agenouillés

Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfant tremblaient à l'horizon
Un tout petit bouquet flottant à l'aventure
Couvrit l'Océan d'une immense floraison

Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire

Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirène moderne sans époux

Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments

(Guillaume Apollinaire, Alcools)

10 octobre 2006

Compagne de tous les jours

HODIE

Garde, point d'arrêt ?


Les cerfs-volants volèrent si bien qu'il y en eut un (je crois que c'était celui du Labyrinthe) qu'on chargea d'un message pour les sauvages Papous. Quand il fut si haut qu'on ne distingua plus rien de lui qu'un point noir et sa longue queue de papillotes qui sinuait dans l'espace bleu comme la courbe des vibrations du son à la page 43 du livre de physique, on lâcha la corde d'un seul coup, avec des hurlements barbares, et il s'effaça dans l'espace et disparut comme un souci mesquin.

(Alexandre Vialatte, Les Fruits du Congo)

09 octobre 2006

Au coeur de la cible

HODIE

Après un long voyage.




There is no frigate like a book
To take us lands away,
Nor any coursers like a page
Of prancing poetry.
This traverse may the poorest take
Without oppress of toll;
How frugal is the chariot
That bears a human soul!

(Emily Dickison)

08 octobre 2006

Janus

OLIM

À usage de thermostat.


Un ami vif vint à la dame morte,
Et par prière il la cuida tenter
De le vouloir aimer de même sorte,
Puis la pressa jusqu’à la tourmenter ;
Mais mot ne dit, donc, pour se contenter,
Il essaya de l’embrasser au corps.
Contrainte fut la Dame dire alors :
« Je vous requiers, ô Ami importun,
Laissez les morts ensevelir les morts,
Car morte suis pour tous, sinon pour un. »

(Marguerite de Navarre)

07 octobre 2006

Quousque

OLIM

Priorité, à ce qu'il paraît.


Tant que mes yeux pourront larmes épandre
À l’heur passé avec toi regretter :
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre :

Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante :
Prierai la mort noircir mon plus clair jour.

(Louise Labé)

06 octobre 2006

Lumerotes

HODIE



Sous la moustiquaire
elle sommeille
au milieu des lucioles

(Masaoka Shiki)

05 octobre 2006

Chat toujours

HODIE

Voir, être vu.


Il fit un rêve étrange. Il se voyait, le corps peint aux couleurs chatoyantes du boa, assis au bord du fleuve pour jouir des effets de la natema.
En face de lui, quelque chose se mouvait dans l'air, dans la végétation, à la surface des eaux tranquilles, au fond même du fleuve. Une chose qui semblait avoir toutes les formes et se nourrir en même temps d'elles. Elle changeait constamment sans laisser aux yeux le temps de s'accoutumer. Elle prenait brusquement l'apparence d'un ara, puis passait à celle d'un silure-perroquet qui sautait la gueule ouverte, avalait la lune et retombait dans l'eau avec la violence d'un gypaète fondant sur un homme. Cette chose n'avait aucune formée définie, précise, mais toujours, quelles que soient les apparences qu'elle prenait, demeuraient les yeux jaunes et brillants.
— C'est ta propre mort qui s'est déguisée pour te surprendre. Si elle l'a fait, c'est parce que l'heure n'est pas encore venue de partir. Chasse-la, ordonnait le sorcier shuar, en massant son corps las avec de la cendre froide.
La forme aux yeux jaunes se déplaçait dans toutes les directions. Elle s'éloignait, absorbée par la ligne verte, diffuse et toujours proche de l'horizon, et les oiseaux se remettaient à tournoyer en chantant leurs messages de bien-être et de plénitude. Et puis elle réapparaissait dans un nuage noir qui descendait avec violence, et une pluie d'yeux jaunes tombaient sur la forêt, s'accrochant aux branches et aux lianes, illuminant la jungle d'un jaune incandescent qui l'entraînait de nouveau dans la frénésie de la peur et de la fièvre. Il voulait crier, mais les rongeurs de la panique lui déchiquetaient la langue à coups de dents. Il voulait manger, mais les minces serpents volants lui ligotaient les jambes. Il voulait retourner à sa cabane, reprendre sa place dans le tableau qui le représentait à côté de Dolores Encarnación del Santísimo Sacramento Estupiñán Otavalo et abandonner ces terres de cruauté, mais les yeux jaunes étaient partout et lui coupaient la route, oui, partout à la fois, et en ce moment même il sentait qu'ils étaient juste au-dessus de la pirogue, celle-ci bougeait, oscillait sous le poids de ce corps qui marchait sur l'épiderme de bois.

(Luis Sepúlveda, Le Vieux qui lisait des romans d'amour)

04 octobre 2006

Erg

HODIE

Semeuse au bras fatigué, attends-tu encore la moisson ?

Je ne peux pas m'empêcher de répéter que la poésie n'est que dans l'homme, dans le résultat de son contact avec les événements, avec les choses. Celui qui ne l'a pas en lui ne la recevra jamais de l'extérieur et même du plus beau poème du monde où un autre homme, poète, l'a mise et d'où elle émane, elle ne rejaillira pas en lui puisque le germe qu'elle aurait pu féconder n'y est pas.

(Pierre Reverdy)

03 octobre 2006

Quelques péniches

HODIE

Sous la gymnastique matinale des cormorans


Ville aveuglée à moins que ne la montre
À soi une rivière
Elle tire partage de l’eau
Et s’assied chez soi sur les berges
Un côté garde l’autre ils s’opposent et se voient
La rive se reflète en l’autre
Et chacune soi-même en le fleuve
Lui la dédouble et ainsi la redouble
Et permet qu’elle se connaisse.

(Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île)

02 octobre 2006

Poteau indicateur

HODIE

Qu'est-ce que Rome ?





Cet octobre, l'air tranquille
est le portique des rêves,
il me semble que j'achève
un ouvrage malhabile,

couronné de malheur pâle
je suis beau comme une rose,
la dernière, l'hivernale,
au seuil des métamorphoses.

Sous la loque des saisons
bat le coeur invulnérable
de la chaste déraison,
si j'ai peur je suis coupable,

chaque jour le ciel efface
le dessin de mes secrets,
je suis jouet de l'espace
plein de monstres inquiets.

(Henri Thomas, Signe de vie)

01 octobre 2006

Moqueries

HODIE

Petite planète et grande blessure.


Ce qui t'est offert
C'est la patience d'une vie
poisson fossilisé
C'est ce qu'il faut de temps
pour changer le poisson en eau
et pour changer l'eau en pierre
Pour nous ouvrir l'un à l'autre
Pour nous fermer l'un dans l'autre
le poisson dans l'eau
et l'eau dans la pierre

Ce qui t'est offert
C'est la promesse d'une vie
jamais remémorée
Sauras-tu la reprendre entière
Sans en altérer le rythme
Sans en arrêter l'élan
Sans l'émietter ?

(François Cheng, Le long d'un amour)