28 février 2006

Retour

HODIE

Rien de vrai.


Puis j'approchai mon fauteuil de la lampe, je mis une pièce de cinq centimes dans ma bouche pour ne pas m'endormir et j'entrepris de relire mon livre depuis le début. Vers minuit, je trouvai une nouvelle phrase, puis encore deux autres qui ne m'appartenaient pas. Elles aussi je les soulignai de rouge et je décidai de revoir entièrement les dix livres que j'avais écrits.
[...]
Il n'y avait pas de doute : je trouvais de plus en plus souvent dans mes textes des phrases d'autrui, bien imprimées et de telle façon qu'elles ne dérangeaient pas l'aspect graphique de la page. Comme par contagion, elles rongeaient mon texte tel un tissu cancéreux, remplaçant les noms que j'avais employés par d'autres que je ne connaissais pas. Lentement, elles avalaient la matière de mes oeuvres, détruisaient leur sens et instauraient un autre ordre dans le texte. Ce nouvel ordre des choses s'imposait toujours davantage et l'encre rouge envahissait mes livres.



De terribles vents barbares soufflaient à travers ces pages. Un monde bigle me narguait sous mon propre nom, entre les sentiers du regard où pousse le chiendent. Ne parlons pas de la langue ! Quelles phrases couvraient ces pages ! L'inconnu les crachait de sa bouche comme des noyaux de prunes.

(Milorad Pavic, L'Atlas des vents)

27 février 2006

N

HODIE

Muser au bord du golfe.


Je secoue l'arbre nuitier :
Les étoiles tombent dans mon drap,
Ô la !
Je les tâte du bout du pied,
Je les mange de mes yeux,
Couche avec moi si t'en veux.

(Henri Pichette, Les Épiphanies)

26 février 2006

Aller

HODIE

Rien d'intime.



Soudain, j'entendis derrière moi, dans la pièce, quelque chose comme un bruissement d'ailes. Et avant que je me retourne, quelque chose de gros et de sombre, d'assez lourd, s'échappa de ma chambre et s'élança vers le ciel. Je m'approchai de la fenêtre, essayant de deviner de quoi il pouvait s'agir lorsque, près de ma tête et frôlant mes cheveux, quelque chose à nouveau s'envola. Puis je vis tout, de mes yeux : sur l'étagère de ma chambre, les livres de ma bibliothèque se redressaient l'un après l'autre et s'envolaient par la fenêtre. Leurs pages battaient dans le vent, comme des ailes, et je fus obligé de reculer pour qu'ils ne me blessent pas de leurs feuilles agitées. Tapant dans les murs et les fenêtres, se cognant aux vitres, se heurtant entre eux, les livres que j'avais écrits autrefois s'envolèrent aussi, désertant l'étagère jaune. Ils prirent vite de la hauteur et les plus rapides d'entre eux (parmi lesquels je reconnus notre Atlas des vents), tel un essaim d'oiseaux migrateurs, se laissèrent porter par le vent très haut dans l'air, de sorte qu'il était difficile de les distinguer des hirondelles et des oies sauvages qui, à cette époque de l'année, traversent le ciel de Belgrade en direction du sud.

(Milorad Pavic, L'Atlas des vents)

25 février 2006

M

OLIM

Tant de haine et de mépris...


Le père Ubu désirant munifier le roi de Pologne Vencenslas, lequel vient de le faire comte de Sandomir, ne sait rien trouver de mieux que cette généreuse formule : « Sire, acceptez, de grâce, un petit mirliton. »

(Alfred Jarry, Ubu Roi)

24 février 2006

Bruit de fond

HODIE

Quel meilleur endroit pour s'entendre soi-même ?


Et, à ce moment-là, Séraphin s'étant tu également, on avait senti grandir autour de soi une chose tout à fait inhumaine et à la longue insupportable : le silence. Le silence de la haute montagne, le silence de ces déserts d'hommes, où l'homme n'apparaît que temporairement ; alors, pour peu que par hasard il soit silencieux lui-même, on a beau prêter l'oreille, on entend seulement qu'on n'entend rien. On avait beau écouter maintenant : c'était comme si aucune chose n'existait plus nulle part, de nous à l'autre bout du monde, de nous jusqu'au fond du ciel. Rien, le néant, le vide, la perfection du vide, une cessation totale de l'être comme si le monde n'avait pas été créé encore, ou ne l'était plus, comme si on était avant le commencement du monde ou bien après la fin du monde. Et l'angoisse vient se loger dans votre poitrine, où il y a comme une main qui se referme autour du coeur.

(Charles-Ferdinand Ramuz, Derborence)

23 février 2006

L

HODIE

Approche prudente, méfiante, concentrique.


Il pleut sur la bergère
il pleut sur les moutons
j'entends la locotière
et j'entends les wagons

dans le fond du vallon
tout juste une prairie
j'aperçois un wagon
une locomotrie

il pleut sur la bergère
il pleut sur les wagons
c'est le progrès sorcière
la civilisation.

(Raymond Queneau)

22 février 2006

Sonder

HODIE

Le mouvement en guise de réalité.


Sous la mince toison d'herbes il y a la terre, disent-ils, et la terre encore, peuplée de rocs et de racines, et plus bas la profonde naissance des sources, et puis encore les lits des roches l'un sous l'autre, plissés et tordus comme des draps de pierre, et le brasier commence où toutes choses se liquéfient dans la fournaise. Vérité certains jours peut-être, mais non ce soir : la route cernée par deux ornières d'eau n'est plus qu'une mince croûte de terre entre ciel et ciel. Que le regard s'élève, qu'il s'abaisse, les mêmes constellations brillent dans le noir de l'air liquide. Fais-toi léger, voyageur, ralentis ta marche suspendue entre la double Lyre et les deux Cassiopée. Ne cours pas, car si tu butais contre une pierre invisible, tu trouerais de tout ton corps ce sol qui te supporte à peine, plus délicat que la glace des étangs : tu tomberais vertigineusement à travers le ciel inférieur.
Ne t'arrête pas non plus si tu ne veux rester pris jusqu'au genou dans le sable des étoiles !

(Gustave Roud, Air de la solitude)

21 février 2006

J

OLIM

L'eau ferrugineuse, oui.


20 février 2006

Lecteur, mon frère

HODIE

Après la mutation.


Dans les livres, il cherche la révélation. Il les parcourt en flèche. Tout à coup, grand bonheur, une phrase... un incident... un je ne sais quoi, il y a là quelque chose... Alors il se met à léviter vers ce quelque chose avec le plus qu'il peut de lui-même, parfois s'y accole d'un coup comme le fer à l'aimant. Il y appelle ses autres notions : « venez, venez ». Il est là quelque temps dans les tourbillons et dans les serpentins et dans une clarté qui dit « c'est là ». Après quelque intervalle, toutefois, par morceaux, petit à petit, le voilà qui se détache, retombe un peu, beaucoup, mais jamais si bas que là où il était précédemment. Il a gagné quelque chose. Il s'est fait un peu supérieur à lui-même.

(Henri Michaux, Lointain intérieur)

19 février 2006

I

HODIE

Flamme froide pour chat.



Je flambe dans le brasier à l'ardeur adorable
Et les mains des croyants m'y rejettent multiple innombrablement
Les membres des intercis flambent auprès de moi
Éloignez du brasier les ossements
Je suffis pour l'éternité à entretenir le feu de mes délices
Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil

Ô Mémoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
Qui étaient immortels et n'étaient pas chanteurs
Voici ma vie renouvelée
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dans l'Océan

Voici le paquebot et ma vie renouvelée
Ses flammes sont immenses
Il n'y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brûlures

(Guillaume Apollinaire, Alcools)

18 février 2006

La rivière est profonde

HODIE

Poisson volant non identifié.


Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du monde et la grandeur et le tragique et le charme.
Les forêts s'y heurtent confusément avec des créatures de légende cachées dans les fourrés.
Il y a toi.
Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l'assassin et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère et celle de la lanterne du chiffonnier.
Il y a toi.
Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage des pays où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de l'aube.
Il y a toi.
Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Une horloge.
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.
Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.
Il y a toi l'immolée, toi que j'attends.
Parfois d'étranges figures naissent à l'instant du sommeil et disparaissent.
Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme des feux d'artifice charnus.
Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.
Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.
Et l'âme palpable de l'étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d'il y a 2000 ans et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers.
Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.
Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire.
Mais qui, présente dans mes rêves, t'obstines à s'y laisser deviner sans y paraître.
Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.
Toi qui m'appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion mais qui n'approches ton visage du mien que mes yeux clos aussi bien au rêve qu'à la réalité.
Toi qu'en dépit d'une rhétorique facile où le flot meurt sur les plages, où la corneille vole dans des usines en ruines, où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb,
Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon esprit plein de métamorphoses et qui me laisses ton gant quand je baise ta main.
Dans la nuit il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres.
Dans la nuit il y a les merveilles du monde.
Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens, mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.

(Robert Desnos, Corps et Biens)

17 février 2006

H

OLIM

Un avenir précipité dans les flammes.


Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;

Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;
L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée
Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.

- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage...
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves,
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !

Puis ils ont une main invisible qui tue :
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever
Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.

Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières,
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisière
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;

Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.

(Arthur Rimbaud, Poésies)

16 février 2006

Voiles

Vivre n'est pas une trahison.

15 février 2006

G

HODIE

Ciments électriques


Dès le matin,
le ciel se dalle, se marquette, se pave, se banquise, se glaçonne, se marbre, se cotonne, se coussine, se cimente, se géographise, se cartographise...
(La forme pronominale convient bien ici, car ces formes se créent, en vérité : de l'intérieur.)

(Francis Ponge, Le Grand Recueil)

14 février 2006

Dans un coin

HODIE

Deux volumes égaux et des liens turquoise.


Devant les sifflements de l'âtre, transi sous ta houppelande à fleurs, tu regardes onduler les nageoires douces de la flamme. ─ Mais un craquement fissure l'ombre chantante : c'est ton arc, à son clou, qui éclate. Et il s'ouvre tout au long de sa fibre secrète, comme la gousse morte aux mains de l'arbre guerrier.

(Saint-John Perse, Images à Crusoé)

13 février 2006

F

HODIE

Par ricochet.


Oui, sans bruit, vous écarterez mes branches,
et verrez comme, à votre mine franche,
viendront à vous mes biches les plus blanches,
mes ibis sacrés, mes chats,
et, rachats !
Ma vipère de lettre aux bien effaçables crachats.
Puis, frêle mise au monde ! ô toute fine,
ô ma tout-universelle orpheline,
au fond de chapelles de mousseline
pâle, ou jonquille à pois noirs,
dans les soirs,
feu d'artificeront envers vous mes sens encensoirs !

(Jules Laforgue, Les Complaintes)

12 février 2006

Grains frais

HODIE

Avant le tam-tam.



Quand le soleil couleur d'une joue
Laisse enfin les yeux le chérir
Et qu'au point doré de périr
Dans les roses le temps se joue,

Devant le muet de plaisir
Qu'enchaîne une telle peinture,
Danse une Ombre à libre ceinture
Que le soir est près de saisir.

Cette ceinture vagabonde
Fait dans le souffle aérien
Frémir le suprême lien
De mon silence avec ce monde...

Absent, présent... Je suis bien seul,
Et sombre, ô suave linceul.

(Paul Valéry, Charmes)

11 février 2006

E

HODIE

Pourquoi se contenter de moins ?


Mon violon est un grand violon-girafe;
j’en joue à l’escalade,
bondissant dans les râles,
Au galop sur ses cordes sensibles et son
ventre affamé aux désirs épais,
que personne jamais ne satisfera,
sur son grand coeur enchagriné
que personne jamais ne comprendra.

(Henri Michaux, Plume)

10 février 2006

Protection de l'unique

HODIE

Ça, c'est un pixel !


J'ai beaucoup rêvé d'arriver seul dans une ville étrangère, seul et dénué de tout. J'aurais vécu humblement, misérablement même. Avant tout, j'aurais gardé le secret. Il m'a toujours semblé que parler de moi-même, me montrer pour ce que j'étais, agir en mon nom, c'était précisément trahir quelque chose en moi, et le plus précieux. Quoi ? Ce n'est sans doute qu'un signe de faiblesse, un manque de la force nécessaire à tout être pour non seulement exister mais affirmer son existence. Je ne suis plus dupe et ne présente pas cette infirmité de nature pour une supériorité d'âme. Mais il me reste toujours ce goût du secret. Je cache des actions insignifiantes pour ce plaisir d'avoir une vie à moi seul.

(Jean Grenier, Les Îles)

09 février 2006

D

HODIE

Flap flap du samedi


Les papemors dans l' air violet
vont, et blonds et blancs comme du lait.
Blonde suis, blanche comme du lait,
en gone de velours violet.
Les diaspes et les caldonies
dardent sur mes tresses infinies.
Mes pers yeux, mirances infinies,
fanent diaspes et caldonies.
Feuilles et pétales parfumés,
montent, montent les rosiers ramés.
Ainsi que fleurs aux rosiers ramés,
A mon buste mes seins parfumés.
Des citoles avec des saltères
frémissent aux soirs des périptères.
Ma parole aux soirs des périptères
fait taire citoles et saltères :
targe sur les dangers ennemis
et bel-accueil ceux-là sont promis,
sire comte, à votre voeu promis
plus haut que les pensers ennemis.

(Jean Moréas, Les Cantilènes)

08 février 2006

Respiration

HODIE

À deux poumons.


Vous savez le français,
vous divisez,
multipliez,
déclinez à souhait.
Eh bien, déclinez !
Mais dites-moi ─
pouvez-vous
chanter avec une maison ?
comprenez-vous la langue des tramways ?
Le petit de l'homme,
dès qu'il vient au monde ─
tend la main vers les livres,
vers les feuilles de copie.
Mais moi, j'apprenais l'alphabet sur les enseignes,
en en tournant les pages de fer et de tôle.
La terre, on la prend,
on l'émonde,
on la saigne ─
pour l'apprendre.
Ce n'est qu'une toute petite mappemonde.
Mais moi, mes côtes m'enseignaient la géographie,
ce n'est pas pour rien
qu'au sol
je me cognais la nuit.
De graves questions troublent les historiens :
─ Était-elle rousse, la barbe de Barberousse ? ─
Passons !
Je ne fouille pas ces poussières dérisoires.
Je connais à Moscou n'importe quelle histoire !
On prend Dobrolioubov (pour abhorrer le mal), ─
le nom s'y prête mal,
les parents râlent.
Moi,
les gavés,
depuis l'enfance je les hais,
toujours contraint
de me vendre pour dîner.
On s'instruit,
on s'assied ─
pour plaire aux dames,
les petites pensées heurtent leurs fronts d'airain.
Et moi,
je parlais
aux seules maisons.
Seuls les réservoirs d'eau devisaient avec moi.
Tendant attentivement leur lucarne,
les toits guettent ce qu'à l'oreille je leur corne.
Et ensuite,
sur la nuit
et l'un sur l'autre,
ils jabotaient,
tournant leur langue-girouette.

(Vladimir Maïakovski, À pleine voix)

07 février 2006

C

HODIE

Comme cicatrice


Dans quelle Inde nouvelle, ou que ce soit demain
Endormi ton caprice et ton âme envolée,
A-t-elle su guérir la crueur de ta plaie,
Et ce coeur nostalgique où se portait ta main ?

(Paul-Jean Toulet, Contrerimes)

06 février 2006

Jaune 4

HODIE

Aniline, timbre clair, lattes polies.



Analogie de la guêpe et du tramway électrique. Quelque chose de muet au repos et de chanteur en action. Quelque chose aussi d'un train court, avec premières et secondes, ou plutôt motrice et baladeuse. Et trolley grésilleur. Grésillante comme une friture, une chimie (effervescente).

(Francis Ponge, La Rage de l'expression)

05 février 2006

B

HODIE

Vert bouteille


Dans l’olympe farouche et sinistre des livres,
Lieu polaire où l’on prend les vitres pour des givres ;
Dans l’immense grenier du bouquinisme humain
Où l’étude et la nuit scellent leur triste hymen,
Depuis que l’homme écrit, que l’esprit se fourvoie,
Que la première plume a fui la première oie ;
Dans ce dock du grimoire universel, tunnel
Et puits du griffonnage antique et solennel,
Où l’erreur sur l’erreur s’amoncelle, où s’entasse
La savantasserie avec le savantasse,
Gouffre où sans voir l’ennui, ce miasme, on le sent,
Où s’est faite, de siècle en siècle grossissant,
Comme un ulcère croît, comme grandit un chancre,
L’horrible alluvion du déluge de l’encre,
Dans ce dépôt qu’emplit le froid morne des ifs,
Il faut les voir rangés, ces testaments massifs,
Ces volumes titans dont un fort de la halle
Aurait peine à porter la lourdeur idéale,
Ces tomes à stature écrasante, ulémas
Des lutrins monstrueux et des puissants formats ;
Ceux-ci bardés de cuir, ceux-là vêtus de moire,
Ils encombrent des temps la ténébreuse armoire ;

(Victor Hugo, L'Âne)

04 février 2006

Levain

HODIE

Cette année, on privilégiera le goût de banane.


Dans la friche on sème des mots
on y sème aussi des phonèmes
des morphèmes des sémantèmes
roses roseaux aux bords de l'eau
bruns grains fichés dans les labours
verts coquelicots des prairies
noirs lys au fond des forêts
dans la friche on sème des mots
pour qu'ils repoussent bien plus beaux

(Raymond Queneau, Battre la campagne)

03 février 2006

A

HODIE

Olivier aux champs


Lune mellifluente aux lèvres des déments
Les vergers et les bourgs cette nuit sont gourmands
Les astres assez bien figurent les abeilles
De ce miel lumineux qui dégoutte des treilles
Car voici que tout doux et leur tombant du ciel
Chaque rayon de lune est un rayon de miel
Or caché je conçois la très douce aventure
J'ai peur du dard de feu de cette abeille Arcture
Qui posa dans mes mains des rayons décevants
Et prit son miel lunaire à la rose des vents

(Guillaume Apollinaire, Alcools)

02 février 2006

Déflecteur

HODIE

Bien à l'abri dans un cocon d'acier et de vent.


Les pensées et les rêves humains ont des écorces dures et invulnérables qui protègent leur coeur fragile contre les blessures, pensait le docteur Souk dans son lit, tout en regardant la clef. Mais les pensées dépérissent au contact des mots, aussi vite que les mots au contact des pensées.

(Milorad Pavic, Le Dictionnaire khazar)

01 février 2006

Immobile

HODIE

Quelque part au milieu du gué.


Traverser la mort comme l’oiseau traverse l’air
jusqu’en l’âme des forêts
qui s’étrécit dans la violette,
jusque dans les ouïes en sang du poisson,
finale douloureux de la mer –

Jusque dans le pays advenu
derrière le masque de la démence
où la fontaine à l’issue souterraine
mène peut-être derrière le lit de douleur
des larmes.

(Nelly Sachs, Exode et métamorphose)