28 février 2006

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HODIE

Rien de vrai.


Puis j'approchai mon fauteuil de la lampe, je mis une pièce de cinq centimes dans ma bouche pour ne pas m'endormir et j'entrepris de relire mon livre depuis le début. Vers minuit, je trouvai une nouvelle phrase, puis encore deux autres qui ne m'appartenaient pas. Elles aussi je les soulignai de rouge et je décidai de revoir entièrement les dix livres que j'avais écrits.
[...]
Il n'y avait pas de doute : je trouvais de plus en plus souvent dans mes textes des phrases d'autrui, bien imprimées et de telle façon qu'elles ne dérangeaient pas l'aspect graphique de la page. Comme par contagion, elles rongeaient mon texte tel un tissu cancéreux, remplaçant les noms que j'avais employés par d'autres que je ne connaissais pas. Lentement, elles avalaient la matière de mes oeuvres, détruisaient leur sens et instauraient un autre ordre dans le texte. Ce nouvel ordre des choses s'imposait toujours davantage et l'encre rouge envahissait mes livres.



De terribles vents barbares soufflaient à travers ces pages. Un monde bigle me narguait sous mon propre nom, entre les sentiers du regard où pousse le chiendent. Ne parlons pas de la langue ! Quelles phrases couvraient ces pages ! L'inconnu les crachait de sa bouche comme des noyaux de prunes.

(Milorad Pavic, L'Atlas des vents)

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