31 octobre 2005

Avant le repos

HODIE

Un python glacé comme un frisson.


Parfois en pleine nuit, aussi parfaitement éveillé que le jour où l'on n'a pu entrer chez soi parce que les morts avaient changé le mot de passe,
On décide de hurler dans le lit où l'on est seul
Comme si, pieds et poings liés, on voyait se rapprocher la scie ou le bout rougeoyant du cigare.
Mais on a beau hurler aussi bien et aussi fort que l'on peut, nulle main charitable, ainsi bernée, n'émerge du néant.
Pour être sûr que l'on vit, il va falloir attendre le retour quotidien des enquêteurs et la reprise de leur doucereuse perquisistion qui durera autant que nous.

(Jean Rousselot, Les Monstres familiers)

30 octobre 2005

Délicieuse amertume

HODIE

Deux fines tresses de princesse.


OCTOBRE
C'est en vain que je vois les arbres toujours verts.
Qu'une funèbre brume l'ensevelisse, ou que la longue sérénité du ciel l'efface, l'an n'est pas d'un jour moins près du fatal solstice. Ni ce soleil ne me déçoit, ni l'opulence au loin de la contrée ; voici je ne sais quoi de trop calme, un repos tel que le réveil est exclu. Le grillon à peine a commencé son cri qu'il s'arrête ; de peur d'excéder parmi la plénitude qui est seul manque du droit de parler, et l'on dirait que seulement dans la solennelle sécurité de ces campagnes d'or il soit licite de pénétrer d'un pied nu. Non, ceci qui est derrière moi sur l'immense moisson ne jette plus la même lumière, et selon que le chemin m'emmène par la paille, soit qu'ici je tourne le coin d'une mare, soit que je découvre un village, m'éloignant du soleil, je tourne mon visage vers cette lune large et pâle qu'on voit pendant le jour.
Ce fut au moment de sortir des graves oliviers, où je vis s'ouvrir devant moi la plaine radieuse jusqu'aux barrières de la montagne, que le mot d'introduction me fut communiqué. Ô derniers fruits d'une saison condamnée ! dans cet achèvement du jour, maturité suprême de l'année irrévocable. C'en est fait.
Les mains impatientes de l'hiver ne viendront point dépouiller la terre avec barbarie. Point de vents qui arrachent, point de coupantes gelées, point d'eaux qui noient. Mais plus tendrement qu'en mai, ou lorsque l'insatiable juin adhère à la source de la vie dans la possession de la douzième heure, le Ciel sourit à la Terre avec un ineffable amour. Voici, comme un coeur qui cède à un conseil continuel, le consentement ; le grain se sépare de l'épi, le fruit quitte l'arbre, la Terre fait petit à petit délaissement à l'invincible solliciteur de tout, la mort desserre une main trop pleine ! Cette parole qu'elle entend maintenant est plus sainte que celle du jour de ses noces, plus profonde, plus tendre, plus riche : C'en est fait! L'oiseau dort, l'arbre s'endort dans l'ombre qui l'atteint, le soleil au niveau du sol le couvre d'un rayon égal, le jour est fini, l'année est consommée. À la céleste interrogation cette réponse amoureusement C'en est fait est répondue.

(Paul Claudel, Connaissance de l'Est)

29 octobre 2005

Réticences

HODIE

Du bleu et presque un chandelier.


Ta chevelure est sans lilas, ton beau visage : de miroir.
D'un oeil à l'autre oeil le nuage passe, comme Sodome vers Babel :
il dépèce tel un feuillage la tour et fait rage autour du buisson de soufre.

Alors te tressaille un éclair sur la bouche ─ ce gouffre avec les restes du violon.
Quelqu'un, dents de neige, promène l'archet : ô le roseau chantait plus beau !

Toi aussi, aimée, tu es le roseau et nous tous sommes la pluie ;
ton corps est un vin sans pareil, et nous pintons à dix ;
ton coeur est une barque dans le blé, nous, rameurs, la poussons vers la nuit ;
cruchette du bleu, tu sautilles légère au-dessus de nous, et nous, nous dormons...

Devant la tente s'approche la centurie, et nous te portons à la tombe sans cesser de trinquer.
Sur le carrelage du monde résonne maintenant le dur thaler des rêves.

(Paul Celan, Pavot et mémoire)

28 octobre 2005

Milieu de milieu de milieu

HODIE

Silence

Fanatiques lugubres. Hier, allés, par une pluie criblante, aux courses du Vélodrome, sachant qu'il ne pouvait pas y avoir de courses, entrés, sachant qu'il n'y avait personne, nous être assis sur l'un des bancs vides des tribunes et avoir regardé deux heures, sans nous parler, la piste larmoyante, sûrs qu'aucun coureur ne viendrait, repartis contents de nous et souriant follement.

(Jules Renard, Journal 28-10-1892)

27 octobre 2005

Vision

HODIE

Un si joli sourire...


Eussions-nous su qu'elle portait une Tonne
Nous aurions calmé la terreur
Mais elle marchait plus droit sous le Poids
À elle revient donc l'erreur ─

(Emily Dickinson, Quatrains)

26 octobre 2005

Du calme !

HODIE

Rayons d'or et plaisir.


Tu as acheté des livres et rempli des rayons, ô amoureux des Muses.
Cela signifie-t-il que tu es desormais savant ?
Si tu achètes aujourd'hui des instruments à cordes, plectre et lyre :
Crois-tu que demain le royaume de la musique t'appartiendra ?

(Ausone, Opuscules)

25 octobre 2005

Stick

HODIE

Sticker

Le nom grec d'Étienne, Stephanos, signifie « couronne » en latin mais « norme » en hébreu. Il fut en effet couronne, comme origine des martyrs du Nouveau Testament, de même qu'Abel fut l'origine des martyrs de l'Ancient Testament. Il fut aussi norme, comme modèle et comme règle pour ceux qui souffrent. Ou bien encore il est nommé Stephanos, à partir de strenue fans, « celui qui parle vigoureusement », ce qui se vérifie bien dans sa prédication. Ou encore le nom dérive de strenue fans anus, « celui qui parle vigoureusement ou de façon louable aux vieilles femmes », car il parla avec vigueur ou avec efficacité, pour les instruire et les guider, aux vieilles femmes, c'est-à-dire aux veuves, dont les apôtres lui avaient confié la direction et qui étaient littéralement de vieilles femmes.

(Jacques de Voragine, La Légende dorée)

24 octobre 2005

d'hazard

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23 octobre 2005

Antiparapéri

HODIE

Haïssable moi.


Le texte c'est la fin du parcours. Ce qu'il faut retrouver c'est l'élan musculaire qui a jeté cette phrase pour qu'elle aboutisse. C'est-à-dire l'état physique dans lequel était l'auteur. «Tout est suspect sauf le corps», dit Jouvet citant Artaud. Or que fait l'acteur le plus souvent (et je m'intègre dedans) : il redit sur les mots ce que les mots disent déjà. Il y a trahison dès qu'il y a énonciation. Or le texte c'est la cérébralisation par le langage d'un état : si tu recérébralises, tu meurs. Il n'y a rien à comprendre. Ce qu'il faut c'est retrouver la phrase d'avant le langage. C'est infernal. Les mots t'emmènent dans la blessure. Quand le corps lâche, que l'ego abandonne la partie, l'organe qui a bien travaillé avant restitue sans volonté.

(Fabrice Luchini, http://www.liberation.fr/page.php?Article=331175)

22 octobre 2005

Acharnement

HODIE

Pixel de pixel ! Mais c'est bien sûr !


L'acte d'amour et l'acte de poésie
Sont incompatibles
Avec la lecture du journal à haute voix

(André Breton)

21 octobre 2005

Contrôle

HODIE

Pourquoi faire simple... Mais les ailes, je prends !


L'homme animal
Vers le néant
Enveloppe ses sens
Les ombres de son égout
Sont l'obstacle à l'amour
Système chinois d'athéisme
Comme un regard vide
Moelles squelettes couleur de limaçon
De la pénétration mutuelle
Mécanisme aveugle et muet
Nous trouverons des ailes qui vivent selon Platon
Dans les apparences des réalités.

(Francis Picabia, La Fille née sans mère)

20 octobre 2005

En creux

HODIE

Être la plasticine qui modèle les doigts.


« former la sensation personnelle à l'aide d'une collision flamboyante de mots rares »
« dessiner des angles ou des carrés nets de sentiments »
« J'ai successivement été un littérateur couronné, un dessinateur pornographe connu et un peintre cubiste scandaleux ─ Maintenant, je reste chez moi et laisse aux autres le soin d'expliquer et de discuter ma personnalité d'après celles indiquées. »

(Jacques Vaché)


Ce dandy des tranchées a très tôt su transformer la réalité ─ alors synonyme de mort, toujours d'ennui en fantaisie ubuesque, et ouvrir le langage aux forces de l'inconscient. Pour se protéger de la "machine à décerveler" de la guerre, il a choisi de se dédoubler. Vaché a mis au point un personnage imperméable à toute croyance, toute mystification : extralucide et iconoclaste. Ceux qui veulent aujourd'hui être libres ont bien des choses à apprendre de lui. Sa seule véritable conception, l'Umour, "le sens de l'inutilité théâtrale (et sans joie) de tout", est devenue la devise des insoumis à la réalité. Poète existentiel, Jacques Vaché n'a rien produit d'autre que lui-même. En cela, il incarne la quintessence de l'esprit poétique.
Cette figure essentielle s'est toutefois évanouie dans les plis de la littérature, digérée et décomposée qu'elle fut par le puissant organe surréaliste. Retrouver l'homme nécessite une autopsie, au risque d'être traité de profanateur, de fossoyeur ou de médecin légiste trop léger avec la loi du milieu. Il faudra bel et bien mettre des gants ─ de chirurgien ─ pour lui rendre hommage, le sortir de là : l'estomac d'André Breton. "Vaché est surréaliste en moi", écrit-il en 1924 dans le premier manifeste du surréalisme ; Breton a littéralement absorbé Jacques Vaché. Le futur gros poisson du surréalisme en est devenu l'intime gardien, la baleine de Jonas du plus profond des océans littéraires.

(Bertrand Lacarelle, Jacques Vaché)

19 octobre 2005

Pierre

HODIE

S'abandonner à la marée


je ne veux pas te quitter
mon sourire est attaché à ton corps
et le baiser de l'algue à la pierre
à l'intérieur de mon âge je porte un enfant gai et bruyant
il n'y a que toi qui saches le faire sortir du coquillage
comme l'escargot avec de fines voix

parmi l'herbe il y a
les mains fraîches des fleurs qui se tendent vers moi
mais il n'y a que ta voix qui sois fine
comme ta main est fine comme le soir est impalpable comme le repos

(Tristan Tzara, Indicateur des chemins de coeur)

18 octobre 2005

yoyo

HODIE

Le plaisir et le chat sont dans une boîte. Ou pas.


La perfection de l'âme quant au plaisir est l'extinction de toute opinion capable de lui inspirer de la crainte.

(Épicure, Maximes)

17 octobre 2005

Voyages

HODIE

Au diable les pixels !


Ramper avec le serpent
se glisser parmi les lignes
rugir avec la panthère
interpréter moindre signe
se prélasser dans les sables
se conjuguer dans les herbes
fleurir de toute sa peau

Plonger avec le dauphin
naviguer de phrase en phrase
goûter le sel dans les voiles
aspirer dans le grand vent
la guérison des malaises
interroger l'horizon
sur la piste d'Atlantides

Se sentir pousser des ailes
adapter masques et rôles
planer avec le condor
se faufiler dans les ruines
caresser des chevelures
brûler dans tous les héros
s'éveiller s'émerveiller

(Michel Butor, À la frontière)

16 octobre 2005

Bzar

HODIE

L'or des astérisques et les mots du bouleau.


Le couvent du Pantocrator sous les belles feuilles de ses platanes luit comme une femme qui se concentre avant de jouir. Le difficile est d'en tenter l'escalade et cependant ces chambres serpentant comme des méandres, ces toits où ruisselle l'huile du soleil, ces toits vernis, ces toits de beurre, ce labyrinthe de figuiers et de flaques de lumière à la pointe d'un précipice vertical, c'est cela seul qui m'attire et c'est là que s'orientent les voiles de cette tartane sur cette mer plate comme un bruit de ressac. Écoute la balancelle du vent sur les faîtages, du vent lent comme les vagues ─ puis c'est la pluie douce sur les carreaux treillissés de plomb, la pluie argentine, la pluie domestique entre les claires étagères à vaisselle et la niche familière du chien, c'est le couvent sur lequel tournent les heures, la grisaille des heures, la cloche des passe-temps, sur lequel les soleils tournent, et sur lequel la mer festonne ses vagues, la langue tirée, avec l'application d'une brodeuse, d'une Pénélope rassise et tranquille, d'une empoisonneuse de village entre ses fioles accueillantes et le pain qu'elle coupe à la maisonnée ─ le pain qui soutient et qui délasse ─ le pain qui nourrit.

(Julien Gracq, Liberté grande)

15 octobre 2005

Youpi

HODIE

Décasyllabes burlesques et royaux.


De gauche à droite
ou de cour à jardin
égrener le chapelet du vocabulaire
et malaxer chacun de ses grains
pour qu'il devienne fruit mûr
sinon germe d'étoile.

(Michel Leiris, Ondes)

14 octobre 2005

Là ou ici

HODIE

Debout les morts !


─ Il est l'heure, dit le fantôme.
─ L'heure ?
─ Oui.
J'enjambai la margelle du labyrinthe. Il était l'heure d'ouvrir les yeux, d'y voir un peu plus clair. L'heure aussi d'entrer dans un autre labyrinthe : le vif. Je cherche à la hâte mes vêtements jetés pêle-mêle, je les piétine, je suis impatient de me plonger dans une autre journée, de repartir à la recherche... Je suis impatient de fuir ce réveil noir d'où je ne tirerai rien de clair, rien de bienfaisant. Il faut déserter au galop.
Je commence par me tromper de porte : j'entre dans le placard au lieu de m'élancer sur la vraie porte des amis et des huissiers. Mon placard est bondé comme chez Barbe-Bleue. Il n'y a donc rien, rien qui sourie à celui qui sait parfaitement où il se trouve, qui a bien compris le jeu, qui reconnaît Dieu sous tous ses déguisements ? Je descends à la rencontre du jour. Et déjà, je sais, je sais que je remonterai tout à l'heure, pour fermer un tiroir que je sais fermé, que je ferme déjà...

(Léon-Paul Fargue, Haute Solitude)

13 octobre 2005

Sans souffle ni mot

HODIE

Ventre creux


Parfois les absents sont là
Plus intensément là
Mêlant au dire humain
au rire humain
Ce fond de gravité
Que seuls
ils sauront conserver
Que seuls
ils sauront dissiper

Mais intensément là
Ils gardent silence encore

(François Cheng, Qui dira notre nuit)

12 octobre 2005

Carrousel

HODIE

Tangente pure.


Une parole tourne
dans la voix du potier
se heurte au plus simple

le mot qui s'obstine
et s'évase

pour contredire la courbe.

(Thierry Metz, Dolmen suivi de la Demeure phréatique)

11 octobre 2005

Tout ça ?

HODIE

Combattre l'acédie


Recueillir le grain des heures
Étreindre l’étincelle
Ravir un paysage
Absorber l’hiver avec le rire
Dissoudre les noeuds du chagrin
S’imprégner d’un visage
Moissonner à voix basse
Flamber pour un mot tendre
Embrasser la ville et ses reflux
Écouter l’océan en toutes choses
Entendre les sierras du silence
Transcrire la mémoire des miséricordieux
Relire un poème qui avive
Saisir chaque maillon d’amitié

(Andrée Chédid, Par delà les mots)

10 octobre 2005

Vieille crémaillère

HODIE

Un bouquet, des plumes, une poignée, une alliance.









Tant qu'il y aura des coqs dans un village
Il y aura des poules à surveiller
Des ptits oiseaux sortiront des cages
Pour écouter le rossignol chanter
Si de l'amour vous craignez les ravages
Dites-vous bien, fermant vos poulaillers
Tant qu'il y aura des coqs dans un village
Il y aura des poules à surveiller.

09 octobre 2005

Il disait, il voyait

HODIE

Je me souviens de ce mariage, inutile.


Un matin, à Rotterdam, sur le quai des Boompjes,
(C’était le 18 septembre 1900, vers huit heures),
J’observais deux jeunes filles qui se rendaient à leurs ateliers ;
Et en face d’un des grands ponts de fer, elles se dirent au revoir,
Leurs routes n’étant pas les mêmes.
Elles s’embrassèrent tendrement ; leurs mains tremblantes
Voulaient et ne voulaient pas se séparer ; leurs bouches
S’éloignaient douloureusement pour se rapprocher aussitôt
Tandis que leurs yeux fixes se contemplaient...
Ainsi elles se tinrent un long moment tout près l’une de l’autre,
Debout et immobiles au milieu des passants affairés,
Tandis que les remorqueurs grondaient sur le fleuve,
Et que les trains manœuvraient en sifflant sur les ponts de fer.

(Valery Larbaud, A. O. Barnabooth, son journal intime)

08 octobre 2005

Peut-être

HODIE

le plus grand poète de la maison.


Je m'en vais faire une très longue promenade
dans un château de mon domaine inhabité
j'irai dans mon souci du grenier à la cave
voir si mon désespoir porte un grain de beauté

(Achille Chavée, Adjugé)

07 octobre 2005

Promesse

HODIE

Éclats, moments, bribes, aiguilles, c'est le temps de l'hétérogénéité


À une grande douleur, succède un calme solennel –
Les Nerfs ont un air compassé, de Tombes –
Le cœur gourd se demande si c’est Lui, qui a souffert,
Et si c’était il y a des Siècles, ou Hier ?

Les Pieds, en automates, vont –
Rigide ronde –
Au Sol, à l’Air, à Tout
désormais Inattentifs,
Un contentement de Quartz, de caillou –

C’est l’Heure de Plomb
Y survit-on, on s’en souvient
Comme des gens en proie au Gel, se rappellent la Neige –
D’abord – un Frisson – puis la Torpeur – puis l’abandon –

(Emily Dickinson, Une âme en incandescence)

06 octobre 2005

Toi et moi

HODIE

Un plafond sans lampe, le vert ennemi, lent vainqueur.


Le bleu ne fait pas de bruit.
C’est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui l’attire à soi, l’apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser, de sorte qu’en elle il s’enfonce et se noie sans se rendre compte de rien.

Le bleu est une couleur propice à la disparition.
Une couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même de l’âme après qu’elle s’est déshabillée du corps, après qu’a giclé tout le sang et que se sont vidés les viscères, les poches de toutes sortes, déménageant une fois pour toutes le mobilier de nos pensées.

Indéfiniment, le bleu s’évade.
Ce n’est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat, une résonance spéciale de l’air. Un empilement de clarté, une teinte qui naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la tête de l’homme que dans les cieux.

L’air que nous respirons, l’apparence de vide sur laquelle remuent nos figures, l’espace que nous traversons n’est rien d’autre que ce bleu terrestre, invisible tant il est proche et fait corps avec nous, habillant nos gestes et nos voix. Présent jusque dans la chambre, tous volets tirés et toutes lampes éteintes, insensible vêtement de notre vie.

(Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu)

05 octobre 2005

Grand largue

HODIE

Ou au près ?


L'an est si lent.
Abandonnons nos ancres dans l'encre,

mes amis.

(Robert Desnos, L'Aumonyme)

04 octobre 2005

Inversion, indiscrétion

HODIE

Au passage des fantômes.


L'homme qui rentre seul le soir
chez lui mais chez lui n'a plus sens
hors celui très simple du lieu
où l'on va pouvoir dormir Il
ouvre la porte du couloir
et cherche le commutateur
allumez pour ne pas tomber
et tenez-vous fort à la rampe
C'est celui-là qui m'intéresse
cet homme seul en clair-obscur
qui se retrouve entre deux êtres
non pas entre deux portes mais
entre deux sensibilités
et qui en a marre à la fin
de figurer dans cette pièce
dont l'auteur n'a pas nom connu
et qu'il est vain de supplier
de montrer son visage afin
de savoir à qui l'on ressemble
entre deux eaux deux hommes femmes
seul dans le noir de l'escalier
c'est si court la minuterie
et se sachant seul Le voilà
celui que je voudrais connaître
quand je ne suis pas là Les restes
de ce visage aux grands abois
non je n'irai pas les chercher
quand le soir je suis invité
chez un ami qui fut cet homme
en détresse dans l'escalier
je ne suis pas méchant Je cherche
à savoir ce que pense un homme
quand il ne pense à rien Je cherche
à savoir ce que sont les hommes
quand ils sont comme moi présents
dans un espace sans personne
et qu'ils se laissent prendre aux mots
de la devinette suprême
oui c'est assez désespéré

Souvent je me parle tout seul
sans me douter que près de moi
un monsieur que je n'ai pas vu
rit doucement de ma folie
Je cesse dès que j'ai vu l'homme
se retourner dans un rictus
Il dira ce soir à sa femme
le type qui habite en haut
tu sais bien il fume la pipe
il est toujours sur sa moto
il ne va pas très bien je crois
je l'ai rencontré ce matin
il racontait je ne sais quoi
tout seul en croquant sa bouffarde
ah c'est un intellectuel

Je n'ai rien à dire à cet homme.

(Georges Perros, Une vie ordinaire)

03 octobre 2005

Passion et portrait

HODIE

Aller un jour chercher le germe au coeur du bulbe. Mais j'ai perdu la loupe.


Et ces douceurs nous permettent de ne pas lire la poésie, car lire, nul ne le peut ─ sinon ceux qui croient que c'est chiffré, et lisent-ils davantage ? Nous sommes des crapules romanesques. Non, nous ne lisons pas, moi pas plus que les autres. C'est un poème que nous écrivons, chacun à notre manière, sous nos calottes de soie, comme jadis on le faisait autour des beaux canevas de Troie et de la Grèce. C'est notre poème, et les poèmes de Rimbaud restent cachés à l'intérieur du nôtre, bien au secret, réservés, comme postulés : notre poème a pris tant de place qu'il nous arrive, ouvrant le petit livre où reposent les écrits d'Arthur Rimbaud, de nous étonner qu'ils existent. Nous les avions oubliés. De nouveau nous les parcourons, hâtifs, aveugles, craintifs comme la petite fourmi qui sans souci des lignes passe en biais sur notre page, quand nous l'avons mise par terre près de nous, dans le jardin.

(Pierre Michon, Rimbaud le fils)

02 octobre 2005

Reset

HODIE

Je suis l'enfant des cendres.


Toutes les chambres de la vie au bout du compte sont
Des tiroirs renversés Toutes les
Chambres de la vie et celles dont
Je ne dis rien toutes les chambres maintenant
Muettes et pourtant
Murmurantes tous les murs sans mot les fenêtres
Mortes

Même où j'écris ceci dans l'aube très longtemps
Après
Dans le silence plein d'oiseaux

Les chambres lettres déchirées
Il en reste des cris éteints le désordre d'avoir
Été le désordre toujours d'être À partir d'un
Certain jour vivre n'est plus jamais que survivre
Plus jamais que ce désordre appelé dérisoirement mémoire

Personne ici ne remettra plus les objets
À leur place plus jamais Tout
Aura perdu le sens qu'il avait pour moi seul
Le temps disperse tout jusqu'au fond des miroirs

Rien désormais ne signifiera plus rien Tant pis
Pour nous qui fûmes Les enfants
De l'avenir vont parler d'autre chose avec leurs bouches fraîches
[...]

(Louis Aragon, Les Chambres)

01 octobre 2005

Toute petite brute

HODIE

Bru, castor, malice et mauvaise mine.


Longuement machiné, ourdi, tramé, effroyablement tissé, froidement Comblain et palanche.
Lorsqu'été que nous irions vivre avec nos Enfants et nos Petits-enfants, qu'entre parenthèse tant chérissions, ne pus défendre terreur. Don Prévision, que possède, dit Landerneau, découvrait les plus brunoirs tableaux.
Car pénitençais caractère semibru ; quoique croyant, plus ou moins, dormitive chuchette d'une ─ bisiècle avant ─ trève Seigneur, savais comment toujours traîta mère, agit parents de son mari ─ n, u, nu, connu ; ─ n'étais sans ignorer que Haine m'acharnait depuis vingt-cinq ans, ne faisait que sommeiller coqueluche, deux plumeaux, et n'avait désarmé. Retins donc départ pendant plus d'un an. Époque mémoirable. CAROTIDE concert votre accersiteur, aquêta terrain, y bâtit sa Villa fatale avec Dollars de M. QUAVIN, bedonnant impetigo...mane, pathe ou ïste, ouïstiti Cirque sûr capitot, à Ratinez, intentionné qu'il était de l'approprier surtout à nos infirmités. Toutes rampes d'escaliers, entr'autres, sont côté gauche parce que ne sais servir de dextrochère.
Avant de trueller première Boom, vint enquérir ─ car vaquelotté expressément Courtrai pour dérouler planisphères, ─ si voulions construisît, fond jardin, retirobien où susurrerions chicorées séparément, vel adosserait Caisses Bâtiment principal. Tortillai que, économie ─ fa-si grelotte BENOItement, Sarlesques funamb...daines, Maître Philistin en diaphane Tauride, ─ zuinigheid, dinguedondonne clarine tympané clitoris, ─ mieux valait s'agencer persolvence communarde et que, conséquent, habitat aussi, promiscu.

(Jacques Lambrecht, Jugulaire. Wellingtonienne en vingt-deux épigées)