20 octobre 2005

En creux

HODIE

Être la plasticine qui modèle les doigts.


« former la sensation personnelle à l'aide d'une collision flamboyante de mots rares »
« dessiner des angles ou des carrés nets de sentiments »
« J'ai successivement été un littérateur couronné, un dessinateur pornographe connu et un peintre cubiste scandaleux ─ Maintenant, je reste chez moi et laisse aux autres le soin d'expliquer et de discuter ma personnalité d'après celles indiquées. »

(Jacques Vaché)


Ce dandy des tranchées a très tôt su transformer la réalité ─ alors synonyme de mort, toujours d'ennui en fantaisie ubuesque, et ouvrir le langage aux forces de l'inconscient. Pour se protéger de la "machine à décerveler" de la guerre, il a choisi de se dédoubler. Vaché a mis au point un personnage imperméable à toute croyance, toute mystification : extralucide et iconoclaste. Ceux qui veulent aujourd'hui être libres ont bien des choses à apprendre de lui. Sa seule véritable conception, l'Umour, "le sens de l'inutilité théâtrale (et sans joie) de tout", est devenue la devise des insoumis à la réalité. Poète existentiel, Jacques Vaché n'a rien produit d'autre que lui-même. En cela, il incarne la quintessence de l'esprit poétique.
Cette figure essentielle s'est toutefois évanouie dans les plis de la littérature, digérée et décomposée qu'elle fut par le puissant organe surréaliste. Retrouver l'homme nécessite une autopsie, au risque d'être traité de profanateur, de fossoyeur ou de médecin légiste trop léger avec la loi du milieu. Il faudra bel et bien mettre des gants ─ de chirurgien ─ pour lui rendre hommage, le sortir de là : l'estomac d'André Breton. "Vaché est surréaliste en moi", écrit-il en 1924 dans le premier manifeste du surréalisme ; Breton a littéralement absorbé Jacques Vaché. Le futur gros poisson du surréalisme en est devenu l'intime gardien, la baleine de Jonas du plus profond des océans littéraires.

(Bertrand Lacarelle, Jacques Vaché)

Aucun commentaire: