04 octobre 2005

Inversion, indiscrétion

HODIE

Au passage des fantômes.


L'homme qui rentre seul le soir
chez lui mais chez lui n'a plus sens
hors celui très simple du lieu
où l'on va pouvoir dormir Il
ouvre la porte du couloir
et cherche le commutateur
allumez pour ne pas tomber
et tenez-vous fort à la rampe
C'est celui-là qui m'intéresse
cet homme seul en clair-obscur
qui se retrouve entre deux êtres
non pas entre deux portes mais
entre deux sensibilités
et qui en a marre à la fin
de figurer dans cette pièce
dont l'auteur n'a pas nom connu
et qu'il est vain de supplier
de montrer son visage afin
de savoir à qui l'on ressemble
entre deux eaux deux hommes femmes
seul dans le noir de l'escalier
c'est si court la minuterie
et se sachant seul Le voilà
celui que je voudrais connaître
quand je ne suis pas là Les restes
de ce visage aux grands abois
non je n'irai pas les chercher
quand le soir je suis invité
chez un ami qui fut cet homme
en détresse dans l'escalier
je ne suis pas méchant Je cherche
à savoir ce que pense un homme
quand il ne pense à rien Je cherche
à savoir ce que sont les hommes
quand ils sont comme moi présents
dans un espace sans personne
et qu'ils se laissent prendre aux mots
de la devinette suprême
oui c'est assez désespéré

Souvent je me parle tout seul
sans me douter que près de moi
un monsieur que je n'ai pas vu
rit doucement de ma folie
Je cesse dès que j'ai vu l'homme
se retourner dans un rictus
Il dira ce soir à sa femme
le type qui habite en haut
tu sais bien il fume la pipe
il est toujours sur sa moto
il ne va pas très bien je crois
je l'ai rencontré ce matin
il racontait je ne sais quoi
tout seul en croquant sa bouffarde
ah c'est un intellectuel

Je n'ai rien à dire à cet homme.

(Georges Perros, Une vie ordinaire)

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