09 avril 2007

Am...

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Encore une histoire de cheminée.


.....Il essaie d'écrire ce mot. Mais pourquoi les lettres ne se présentent-elles pas comme elles le devraient, sous sa plume ? Après le a, ce ne sont déjà plus que des chemins encaissés, des pierres à l'infini, blanches, menaçantes, qui sont tout de même peut-être la lettre m. Mais par la suite ! Des années ont passé, il cherche toujours à former la troisième lettre, et c'est en vain. On l'entoure, on a pitié de lui, on voudrait l'aider, ah, on y parvient ! Une grande main ferme guide la sienne, et voici que dans cette graphie qui n'est pourtant encore qu'oiseaux qui volent très bas avec tumulte et ténèbre il avance à nouveau, les yeux clos, les pieds cherchant dans des flaques, vers un soleil qui se lève.

.....Variante : il écrivait un mot, un de ces mots encombrés de pierres, barrés de ronces, c'était silencieux, c'était très noir sur la pente sans fin visible qu'il s'efforçait de gravir.
.....Et un jour, dans ce mot qui bifurquait, se perdait, recommençait, sentier toujours plus abrupt, grandes déceptions, grande tristesse, un jour, soudain, la terre se retira de sous son pied, l'horizon s'éclaira, des cimes parurent, et tout, comment dire ? riait, d'un rire qui n'était plus celui de plus tôt ou plus bas dans la parole, celui qui s'aveugle, raille, fait mal, détruit, mais une puissance montant de toutes parts dans les gouffres, les barrières rocheuses, les gaves du fond des vallées, bouillonnements immobiles, pour n'être plus rien ici, en haut, dans ce vaste pré en pente devant le ciel, que cette douceur, cet air frais, ces deux mains qui prenaient les siennes. L'enfance même, à nouveau, mais sans l'angoisse. L'évidence, comme lorsque les eaux se refermèrent sur Empédocle apaisé.

(Yves Bonnefoy, La Vie errante)
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