17 janvier 2006

Un jour de Mardi gras

HODIE

Chaînes et poignée de bois


Ainsi l'homme mi-nu sur l'Océan des neiges, rompant soudain l'immense libration, poursuit un singulier dessein où les mots n'ont plus prise. Épouse du monde ma présence, épouse du monde ma prudence!... Et du côté des eaux premières me retournant avec le jour, comme le voyageur, à la néoménie, dont la conduite est incertaine et la démarche est aberrante, voici que j'ai dessein d'errer parmi les plus vieilles couches du langage, parmi les plus hautes tranches phonétiques : jusqu'à des langues très lointaines, jusqu'à des langues très entières et très parcimomieuses,

comme ces langues dravidiennes qui n'eurent pas de mots distincts pour « hier » et pour « demain »... Venez et nous suivez, nous n'avons mots à dire : nous remontons ce pur délice sans graphie où court l'antique phrase humaine ; nous nous mouvons parmi de claires élisions, des résidus d'anciens préfixes ayant perdu leur initiale, et devançant les beaux travaux de linguistique, nous nous frayons nos voies nouvelles jusqu'à ces locutions inouïes, où l'aspiration recule au-delà des voyelles et la modulation du souffle se propage, au gré de telles labiales mi-sonores, en quête de pures finales vocaliques.

(Saint-John Perse, Exil)

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