15 septembre 2006

Même des godasses

OLIM

D'hiver ou d'été, triste écart matinal.


C’est à l’époque où le doux temps d’été prend fin, remplacé par la saison d’hiver. Renart alors retourne en son logis. Mais il a épuisé ses provisions. Il n’a plus rien pour se réconforter, ou pour assurer sa subsistance. Dans ce pressant besoin, il se met en campagne. Cherchant aventure, il arrive à un chemin : quelle est cette carriole qu’il entend approcher ? Ciel ! Ce sont des marchands qui apportent de la mer toute une cargaison de poissons grands et petits, anguilles, lamproies, qu’ils vont vendre à la ville prochaine. Renart doit avoir trouvé quelque ruse nouvelle, car ses yeux brillent d’envie ! Il se couche sur le bord de la route et fait le mort. Il ferme les yeux, serre les dents et retient son souffle — fut-il jamais pareille trahison ? Il reste ainsi, gisant. Soudain, un des hommes l’aperçoit, il appelle son compagnon.
— Par ma foi, c’est un goupil qui gît là sur ce gazon !
— Oui, certes, et je crois que, cette fois, nous tenons son pelage !
Les deux marchands courent à Renart qu’ils trouvent les quatre pattes en l’air : ils le tournent, le retournent, estiment son dos, et puis sa gorge. L’un dit qu’il vaut trois sous. Et l’autre aussitôt :
— Au marché, on nous en donnera quatre sous pour le moins ! Nous ne sommes guère chargés. Jetons-le sur notre charrette.
Chemin faisant, les deux compères se vantent à l’envi leur proie ; ce soir même, ils le dépouilleront. Ils rient d’aise à cette seule pensée ! Renart les entend, mais ne s’en soucie guère. Il y a loin de la coupe aux lèvres ! Il s’aplatit parmi les paniers, ouvre l’un avec ses dents, et y trouve trente harengs qu’il avale sans se faire prier. Du second, il tire trois paquets d’anguilles qu’il charge sur son dos. Puis, au moment propice, calculant bien son élan, il saute au milieu de la route, et, tout goguenard, prend congé de ses hôtes.
Dieu vous garde, bonnes gens ! Et partagez-vous mes restes ! Les marchands s’ébahissent fort de l’entendre. Ils s’avisent un peu tard qu’avec Renart on ne saurait trop se méfier. Et tandis qu’ils se lamentent, le rusé compère s’empresse de prendre le large.

(Le Roman de Renart)

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