06 septembre 2006

Voyage d'une moustache

HODIE

Dans tes bagages, bien plus que des flûtes et des cigognes


Ces deux langues, le roumain et le français, ces deux langues tellement ressemblantes changent de visage dès qu'on leur demande de vous rendre service en littérature. Le texte reste forcément le même, si je puis dire, mais quelle dissemblance dans la mise en scène ! D'un côté, un spectacle où la scénographie privilégie le blanc et le noir, une confrontation de magistrats persuadés que le destin de l'humanité dépend d'une virgule, qu'une faute d'orthographe peut précipiter le monde dans le désastre. De l'autre, une liturgie qui rassemble des paysans en costume traditionnel dans un palais levantin où quelques vocables rapportés de France gémissent en découvrant l'âme slave. Du côté de chez Swann, les comédiens préfèrent les sons purs, les pianos en cristal, les bijoux simples et les femmes sincères – qui ne font pas de mensonges inutiles, dirait Anatole France. La textualité roumaine est trouble, elle n'offre que des repères hypothétiques, les acteurs ne savent jamais qui aime qui, ni pourquoi, désespérés par un discours qui a besoin de leur sang pour acquérir une crédibilité. Le temps de la phrase est incertain et le sens, qui refuse la précision par amour d'une langue inapte à trancher, flotte au fil des mots tel le brouillard des matins d'automne. En français, tout au contraire, l'écriture est une danse, précise, rythmée sous le jour des projecteurs qui éclairent impitoyablement le moindre faux pas, le moindre tremblement de la jambe, le plus infime écart de rythme.

(Virgil Tanase, Le Goût ingénieux d'une langue)

Aucun commentaire: