11 juin 2006

Cascade

HODIE

Chair chimère sur un squelette trop permissif.


Le thème central évident des Mémoires posthumes de Braz Cubas est l'amour : la nature de l'amour, la persistance de l'amour, la disparition et la transformation de l'amour, la redécouverte de l'amour après qu'il a disparu, tout espoir envolé. En pensant aux femmes qu'il a aimées (Marcella l'Espagnole, sa soeur Sabina, sa Virgilia idéalisée), Braz Cubas dit qu'il se les rappelle « comme si ces noms et ces personnes n'étaient que différents aspects de mes affections intimes » — tout à fait comme Machado attend de ses lecteurs qu'ils reconnaissent sur la page les fantômes de leurs propres pensées et passions, tels les spectateurs de cette « chose très sérieuse » qu'est le théâtre.

Dans une certaine mesure, cela est vrai de tout livre que nous aimons. Nous pensons l'approcher de loin, voir s'ouvrir sa couverture protectrice et observer, bien installés à notre place dans l'auditoire, le déploiement de sa narration, et nous oublions à quel point la survie des personnages, la vie même du récit dépendent de notre présence en tant que lecteurs, de notre curiosité, de notre désir de nous rappeler un détail ou de nous étonner d'une absence, comme si notre capacité d'aimer avait créé à partir d'un fouillis de mots la personne qui est l'objet de l'amour.

Je ne sais pas encore vers quel livre les mots de Machado vont m'entraîner.

(Alberto Manguel, Journal d'un lecteur)

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