09 janvier 2007

Mahjong

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Le nom ralentit et accélère.


Depuis que je vis au sommet d'un phare, des pans de mon vocabulaire se sont effondrés. La mémoire, c'est friable. Par paquets, les mots ont chuté dans la mer ; des familles entières de mots se sont noyées, et je laisse à d'autres le soin de trouver une métaphore sur les falaises que je suis censé apercevoir, les jours de beau temps, mais jamais il ne fait assez clair, ou bien, allez savoir ; peut-être, depuis le temps, la mer a-t-elle eu raison d'elles.
Oh, le déclin du vocabulaire ne fut pas l'affaire d'un jour. Mais la mer a les siècles dans sa poche. Comment dire ? Lorsque je vivais à terre, j'écoutais les savants faire état d'espèces en voie d'extinction. J'ai l'impression qu'ils parlaient des mots qui disparaissent des conventions, puis des dictionnaires. Il faut les entretenir comme on arrose des plantes et si l'un d'eux est délaissé, il sèche sur pied.
Je suis le gardien du phare et, incidemment, à force de lire la mer entre ses lignes (la mer n'écrit pas de gauche à droite mais en cercle, dans le sens contraire de l'aiguille d'une boussole, autour du phare), j'ai appris qu'on pouvait vivre heureux avec moins de mots. Chaque mot que j'oublie est un dard qu'on me retire.

(Éric Faye, Je suis le gardien du phare)
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