10 janvier 2007

Tommy

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Une porte garnie de lierre et de roses rouges, et la foule qui se presse.


— Dans la Chine ancienne, les villes étaient entourées de hautes murailles, percées de plusieurs portes, déclarai-je après avoir réfléchi un instant. Les Chinois accordaient aux portes une signification importante. Elles ne servaient pas seulement de points d'entrée et de sortie, on pensait que l'âme de la ville y résidait ou devait y résider. De même que, dans l'Europe du Moyen Âge, on considérait l'église avec la place qui l'entourait comme le coeur d'une ville. Aujourd'hui encore, il reste quelques-unes de ces magnifiques portes en Chine. Et sais-tu comment les Chinois s'y prenaient pour les édifier ?
— Non.
— Ils se rendaient sur un ancien champ de bataille avec une charrette, et ramassaient des ossements. La Chine a une longue histoire, il était facile de trouver d'anciens champs de bataille.
Aux points d'entrée de la ville, on construisait d'immenses portes dans lesquelles on insérait ces ossements. Parce qu'on espérait, en rendant ainsi hommage à l'esprit des guerriers morts, obtenir d'eux qu'ils continuent à protéger la ville. Et ce n'était pas tout : une fois la porte construite, on amenait des chiens vivants, et on les égorgeait en aspergeant la porte de sang encore tiède. Les Chinois pensaient que ce rituel magique – mélanger du sang frais à des ossements desséchés – redonnait leur force aux âmes des guerriers d'autrefois.
Sumire attendit la suite en silence.
— Écrire un roman est presque pareil. Tu peux construire une magnifique porte incrustée d'ossements anciens, cela seul ne donnera pas vie à ton roman. Les fictions ne sont pas de ce monde. Pour relier une histoire à notre monde à nous, il faut une cérémonie magique, un baptème.
— Tu es en train de me dire que je dois amener un chien qui m'appartient sur le chantier en construction ?
Je hochai la tête.
— Et asperger la porte de sang ?
— Peut-être.
Sumire réfléchit un moment en se mordant les lèvres. Jeta encore quelques malheureeux cailloux dans l'étang.
— Je préférerais éviter de tuer un animal.
— C'est une métaphore, répondis-je. Tu n'es pas obligée d'égorger réellement un chien.

(Haruki Murakami, Les Amants du Spoutnik)
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