15 août 2007

Got the blues

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Plieras-tu ?!







Pourquoi la physique, par exemple, parle-t-elle de trois couleurs fondamentales ? Nul ne peut nier l'importance du rouge. Mille preuves témoignent de son rôle élémentaire. On pourrait objecter contre le jaune que dans le spectre il est voisin du vert. Mais le vert qui résulte, soi-disant, du mélange du jaune avec une couleur que l'on ne peut nommer, doit être considéré avec circonspection, bien qu'il ait la réputation d'être bon pour les yeux. Inversons les faits ! Une couleur qui a sur l'oeil un effet bienfaisant ne peut être constituée par des composantes dont l'une est l'élément le plus destructeur, le plus hideux, le plus absurde que l'on puisse imaginer. Le vert ne renferme pas de bleu. Disons paisiblement le mot. Ce n'est vraiment qu'un mot, rien de plus, pas autre chose et surtout pas une couleur fondamentale. Il est évident que le spectre cache quelque part un secret, un élément qui nous est inconnu et qui, à côté du jaune, joue son rôle dans la création du vert. Ce devrait être la tâche des physiciens de le découvrir. Ils ont des choses plus importantes à faire. Chaque jour, ils inondent le monde de rayons nouveaux, provenant tous du spectre invisible. Pour les énigmes que pose notre lumière réelle, ils ont trouvé une solution élégante. La troisième couleur fondamentale qui nous manque, que nous connaissons par ses effets et dont nous ignorons la nature est, à ce qu'ils prétendent, le bleu. On prend un mot, on l'associe à une énigme et l'énigme est résolue. Pour que nul ne perce à jour la tromperie, on choisit un mot inconvenant, frappé d'interdit ; on conçoit que les gens éprouvent une grande crainte à soumettre ce mot à un examen microscopique. Il sent mauvais, se disent-ils, et font un grand détour pour éviter tout ce qui se rapproche du bleu. Les hommes sont lâches. Là où il s'agit de prendre une décision, ils aiment mieux délibérer vingt fois, peut-être l'éviteront-ils à force de mensonges. C'est ainsi que l'on a cru jusqu'à nos jours plus fermement à l'existence d'une couleur chimérique que l'on ne croit en Dieu. Il n'y a pas de bleu, le bleu est une invention des physiciens. Si le bleu existait, les cheveux d'un assassin typique seraient de cette couleur. Comment s'appelle le concierge ? S'appelle-t-il le « Chat Bleu » ? bien au contraire : « le Chat Rouge » !

(Elias Canetti, Auto-da-fé)

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