08 mai 2006

Oreiller froissé

HODIE

Des poches exclusivement.


L'apprentissage se déroulait en deux temps apparemment simples. L'enfermement et la lecture. Pour la première étape il était nécessaire de faire des provisions pour une semaine ou alors de jeûner. Il était aussi indispensable, pour éviter les visites inopportunes, d'avertir que l'on n'était disponible pour personne, ou bien que l'on partait en voyage pour une semaine ou que l'on avait contracté une maladie contagieuse. La deuxième étape était plus compliquée. D'après Delorme, il fallait se fondre avec les oeuvres maîtresses. On y parvenait d'une manière extrêmement étrange : en déféquant sur les pages de Stendhal, en se mouchant dans les pages de Victor Hugo, en se masturbant et en répendant le sperme sur les pages de Gautier ou Banville, en vomissant sur les pages de Daudet, en urinant sur les pages de Lamartine, en se coupant avec des lames de rasoir et en éclaboussant de sang les pages de Balzac ou de Maupassant, en soumettant, en somme, les livres à un processus de dégradation que Delorme appelait humanisation. Le résultat, au terme d'une semaine de rituel barbare, était un appartement ou une chambre jonchée de livres détruits, un état de saleté et de puanteur dans lesquels l'apprenti littéraire déblatérait à son aise, nu ou en short, sale et surexcité comme un nouveau-né ou plus exactement comme le premier poisson qui décida de faire le saut et de vivre hors de l'eau. Selon Delorme, l'écrivain barbare sortait aguerri de l'expérience et, là était vraiment l'essentiel, il en ressortait avec un certain savoir dans l'art de l'écriture, une connaissance acquise grâce à la
« proximité réelle », l'« assimilation réelle » (comme les nommait Delorme) des classiques, une proximité corporelle qui brisait toutes les barrières imposées par la culture, l'académisme et la technique.

(Roberto Bolaño, Étoile distante)

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