23 novembre 2005

Quintique

HODIE

Un jour la pluie cessa de tomber droit et se mit à descendre des nuages comme si elle avait entrepris d'écrire une longue série de e, chutant d'abord abruptement puis se courbant vers le haut, rebroussant chemin pour dessiner la partie arrière du e, fermant la boucle, dégringolant jusqu'au e suivant, et ainsi de suite de looping en looping, en une longue suite muette d'une seule traite sans lever la plume.


Il y a deux manières de regarder tomber la pluie, chez soi, derrière une vitre. La première est de maintenir son regard fixé sur un point quelconque de l'espace et de voir la succession de pluie à l'endroit choisi ; cette manière, reposante pour l'esprit, ne donne aucune idée de la finalité du mouvement. La deuxième, qui exige de la vue davantage de souplesse, consiste à suivre des yeux la chute d'une seule goutte à la fois, depuis son intrusion dans le champ de vision jusqu'à la dispersion de son eau sur le sol. Ainsi est-il possible de se représenter que le mouvement, aussi fulgurant soit-il en apparence, tend essentiellement vers l'immobilité, et qu'en conséquence, aussi lent peut-il parfois sembler, entraîne continûment les corps vers la mort, qui est immobilité. Olé.

(Jean-Philippe Toussaint, La Salle de bain)

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