08 juillet 2005

Montaigu

HODIE

Gatte d'or et ermite


Divers signes, les uns réels comme l'autel aux nymphes, les autres (beaucoup plus nombreux) partiellement ou totalement imaginaires, orientaient ici l'esprit vers un certain point de l'espace et du temps, vers la Grèce, vers l'Antiquité ; non pas le moins du monde dans un mouvement d'érudition ou de réflexion abstraite (pas davantage de retour au passé comme à un temps meilleur que le présent, de fuite dans le révolu), ni d'une façon méthodique ou exclusivement rationnelle. La leçon que je devinais cachée dans le monde extérieur ne pouvait être énoncée qu'obscurément, telle qu'elle avait été écoutée : dans l'intérieur de ces lieux était un souffle, ou un murmure, à la fois le plus ancien, le tout ancien, et le plus neuf, le plus frais ; déchirant de fraîcheur, déchirant de vieillesse. Je ne croyais pas, est-il besoin de le dire ? que les nymphes fussent revenues, ni même qu'elle eussent jamais été visibles ; je n'allais pas me mettre à prononcer des prières ou à chanter des hymnes grecs. Simplement, c'était comme si une vérité qui avait parlé plus de deux mille ans auparavant dans des lieux semblables, sous un ciel assez proche, qui s'était exprimée dans des oeuvres que j'avais pu voir ou lire (et dont l'école, par chance, avait su me communiquer le rayonnement), continuait à parler non plus dans des oeuvres, mais dans des sites, dans une lumière sur ces sites, par une étrange continuité (que certains aspects de l'Histoire nous cachent). Encore était-ce trop préciser ; pour être tout à fait exact, je devrais, après avoir évoqué l'image de la Grèce, l'effacer, et ne plus laisser présents que l'Origine, le Fond : puis écarter aussi ces mots ; et enfin revenir à l'herbe, aux pierres, à une fumée qui tourne aujourd'hui dans l'air, et demain aura disparu.

Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes)

Aucun commentaire: