02 juin 2008

E S E ?

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Punition sur une marche de schiste


Eschyle, tu nous a fait là une belle invention. Ce n'était pas assez pour toi que ce visage humain si expressif et si divers, barbu, ou dans sa nudité bourgeonnante, pâli par le désespoir, congestionné par la paillardise ou verdi par la terreur, fendu par l'hilarité, boursouflé par les sentences et les pots de vin ? Les pleureuses de ton temps, plus habiles que les singes dans l'art de la grimace tragique, devaient pourtant avoir approfondi tous les secrets de la douleur et savoir comment la poussière ramassée à pleines mains sur les bords des chemins se pétrit bien avec les larmes dans le mortier des joues creusées par le désespoir. Mais à part le prétexte futile d'un porte-voix, tu devais reprocher à la face de l'homme sa fantastique mobilité, plus prompte, plus déconcertante que la mer soudaine. Peut-être, pensas-tu que l'image du plus intense tourment, la crispation suprême des passions ne se maintient pas le temps d'une tragédie et combien t'apparut plus terrible un visage descendu dans l'enfer de son expression, qui ne pourra plus jamais revenir en arrière vers son repos, bloqué dans sa grimace comme dans les glaces d'un navire et qui dans le sommeil même garde l'affreuse torsion de son tourment. Alors la bouche ne se meut plus pour délivrer les plus terribles paroles et les joues s'immobilisent dans l'éternité du drame, car ce sont combien d'hommes cachés qui parlent en choeur derrière ce carton surhumain, cette gueule à jamais estropiée, comme un gymnaste qui pour avoir réussi de trop fabuleux écarts reste difforme pour toujours ?

(Georges Limbour, Le Carnaval et les civilisés)






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