25 décembre 2007

Pause-carrière

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Veut-elle gagner la guerre ?


Il n'est pas venu ici pour s'émerveiller devant les hommes et les paysages mais plutôt dans l'espoir de se surprendre lui-même, se découvrir polyglotte, piroguier, danseur, musicien – ça alors ! et je sais aussi manier le lance-pierre ! – très différent en somme de ce qu'il a toujours été et dont il est un peu las à force – tout autre à sa place eût renoncé après cinq minutes – et ne plus jamais revenir de cet étonnement, déposant comme un froc son corps trop étroit et fluet pour ses nouveaux appétits et renaissant nu, affûté pour la course et le bond, avec une main de peintre et une main de mécanicien, doté d'un système finement nervuré de vaisseaux conducteurs de la pensée menant celle-ci jusqu'aux phalangettes et jusqu'aux talons même où l'attendrait l'impulsion du prochain départ. Il se moquait des savanes, il est venu pour une autre révélation, pour donner sa chance enfin au Malien qu'il est peut-être aussi, peut-être surtout, qu'il a toujours été peut-être, dès l'origine, qui n'a jamais eu l'opportunité de se montrer, ayant reçu dans une province française une éducation française qui contraria son épanouissement : soudain, il a tout l'espace et la lumière pour lui et qu'en fait-il ? Il demeure tel qu'il a toujours été, aussi lourd, aussi rabougri. On le croit dans la lune. En effet, il a les pieds de plomb du Sélénite. Il a changé un peu pourtant depuis qu'il est ici.
Tout de même. Ses oreilles n'étaient pas si rouges.

(Éric Chevillard, Oreille rouge)
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