13 février 2007

Bouffées

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Envie de billes et de smilys


[...] quand le vent tomba d'un coup et que le soleil devint au moins deux fois plus grand (plus tiède, veux-je dire, mais en fait, cela revient au même), je m'assis sur le parapet et me sentis terriblement heureux de cette matinée de dimanche. Des mille façons de combattre le néant, une des meilleures est de prendre des photos, activité à laquelle on devrait habituer les enfants de bonne heure, car elle exige de la discipline, une éducation esthétique, la main ferme, le coup d'oeil rapide. Non pour être à l'affût du leurre comme le premier reporter venu et attraper la stupide silhouette qui sort du n° 10 Downing Street mais lorsqu'on se promène avec un appareil photo, on a comme le devoir d'être attentif et de ne pas perdre ce brusque et délicieux ricochet de soleil sur une vieille pierre, ou cette petite fille qui court, tresses au vent, avec une bouteille de lait ou un pain dans les bras. Michel savait que le photographe échange toujours sa manière personnelle de voir le monde contre celle que lui impose insidieusement l'appareil (il passe à présent un grand nuage presque noir) mais cela ne l'inquiétait pas outre mesure, sachant qu'il lui suffisait de sortir sans son Contax pour retrouver ce ton distrait, la vision sans cadrages, la lumière sans diaphragme. En ce moment même (quel mot : en ce moment, quel stupide mensonge) par exemple, je pouvais rester assis sur le parapet, au-dessus du fleuve, à regarder passer les péniches noir et rouge sans avoir envie de les penser photographiquement, me laissant simplement aller dans le laisser-aller des choses, courant immobile avec le temps. Le vent était tombé.

(Julio Cortazar, Les fils de la vierge)
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