07 décembre 2006

APN

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Et la musique du film.




Dans les rues d'une ville où je n'habite qu'en image,
le brouillard construit la nuit de provisoires passages
qu'empruntent des fantômes avec l'air d'aller ailleurs
porter la buée légère qui vient du secret du coeur.
Pourtant, si maladroit que soit toujours le solitaire,
je m'entête à épier les figures de la lumière.
Si c'était justement parce que la pierre ne tient pas bien,
parce qu'à la porte des bars le vent bondit comme un chien,
parce qu'il s'attaque aux feuilles, aux fenêtres mal fermées,
que j'allais vous croiser enfin, après la force ruinée,
fragilité extrême qui n'avez cessé de me fuir :
si j'allais vous rattraper dans votre manteau de cuir...
Sachant que les plus hauts murs sont alliance de poussière,
que le vacarme des cafés et leurs colonnes de verre
chancellent sitôt touchés par les cornes du matin,
sachant que si je monte aux belvédères suburbains,
la ville ne sera plus qu'un peu de braises fumantes,
je n'accueillerai plus ces figures terrifiantes
et je marcherai encore bien que ce soit déjà l'hiver
et que le fleuve ait emporté les derniers souvenirs d'hier...
J'habiterai moins tremblant ces forteresses de sable,
car je n'ai plus désir que d'une chose insaisissable,
cette parole dite dans un souffle à la bouche qui attend
et cette brume une seule seconde sur l'astre des yeux brûlants...

(Philippe Jaccottet, L'Ignorant)
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