18 avril 2006

Dans le panneau

HODIE

Vous qui entrez ici, laissez vos mots et vos idées.


L'on dira donc (pour acquit de conscience) que le langage comporte – comme les grammaires l'enseignent et comme les dictionnaires, ne fût-ce que par leur aspect, le confirment – d'une part des signes qui tombent sous le sens : soit bruit, son, image écrite ou tactile. De l'autre, des idées, associées à ces signes en telle sorte que le signe, sitôt apparu, les évoque. En bref, un corps et une âme, une matière et un esprit. Celui-ci subtil et souple ; celle-là fixe et passive. Ainsi différant l'un de l'autre au point que rien de ce que l'on dit du mot ne se peut dire de l'idée, et l'inverse. Tous deux cependant si étrangement proches de nous, indiscutables, donnés, que l'on peut se demander si notre idée plus générale de la matière et de l'inorganique ne nous vient pas d'étendre au monde entier ce que l'expérience intime à tout instant nous apprend des mots ; mais notre idée de l'esprit et de la vie, ce que le langage nous apprend des pensées. La puissance des mots, dès lors, ce serait assez exactement , dans le microcosme de l'expression, la matière qui opprime l'esprit. Comme un homme, devant le coup violent qui va le frapper, se sent déjà changé en cadavre, ainsi la pensée asservie aux mots a beau garder son apparence : elle est déjà morte, et réduite à rien : une simple chose entre d'autres, qui tombe quand on la pousse et tombée demeure à terre. Et simplement faut-il ici marquer deux points. L'un est que la Terreur admet couramment que l'idée vaut mieux que le mot et l'esprit que la matière : il y a de l'un à l'autre différence de dignité, non moins que de nature. Telle est sa foi, et, si l'on aime mieux, son préjugé. Le second porte que le langage est essentiellement dangereux pour la pensée : toujours prêt à l'opprimer, si l'on n'y veille. La définition la plus simple que l'on puisse donner du Terroriste, c'est qu'il est misologue.

(Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes)

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