09 mars 2006

T

HODIE

Mais que diable aime-t-il dans cette galère ?


Mes chers enfants, je voudrais qu'a-
près ma mort on me disséquât
soigneusement puis que, sans perdre un os,
on reconstituât mon squelette homogène
(si j'ose emprunter cette expression d'Eugène
Mouton plus connu sous le nom de Mérinos)
et qu'alors vous m'accrochassiez dans l'atelier
où s'entasse un hétéroclite mobilier :
tenez, entre la bassinoire
de cuivre jaune et le tamanoir
empaillé suspendez mon ostéologie.
Oh ! quel bonheur de rester au logis
au bon air, à la chaleur, à la lumière,
en famille au lieu de passer ma mort tout entière
au cimetière
dans une bière
sous une pierre
ou bien étendu dans un caveau
propice aux rhumes de cerveau !
Quant à moisir sous le Grand-Bé
tel Chateaubriand, macchabé
prétentieux ou bien comme Alfred de Musset
engraisser on ne sait
quel pleurnicheur de saule,
ah ! ça fait lever les épaules
jusqu'au firmament
véritablement !
Entre vous quelquefois
vous direz à mi-voix :
─ « Pauvre papa ! tout de même, ce qu'il maigrit
« depuis son décès !
« Mais c'est
« curieux, regardez : il rit, il rit
« toujours
« nuit et jour !
« Nous sommes joliment contents
« de le voir comme ça rigoler tout le temps !
« car ça prouve bien pardi !
« que son âme est en Paradis :
« sans blague, pensez-vous que les damnés
« ça se gondole toute la journée ? »
En vous voyant, j'aurai souvent
l'illusion d'être encore vivant.
Sans être empêtré d'un linceul
pour me dégourdir je danserai tout seul
tandis que
sur le phono tournera le disque
de ta Danse Macabre, ô Saint-Saëns,
je me trémousserai dans tous les sens,
je danserai, trépudierai,
gambaderai, gambillerai !
Au moins vous n'aurez pas peur, j'espère,
en voyant frétiller feu monsieur votre père ?
Un dernier mot, mes chers enfants :
dites, vous m'époussèterez bien de temps en temps ?
Quand ce ne serait que le jour des Morts :
ce ne sera pas un grand effort !

─ « Mais, papa », direz-vous, « ça va coûter fort cher
de nettoyer ainsi vos os de votre chair ! »
Oui mais vous épargnerez les frais d'enterrement,
c'est une économie incontestablement !

(Georges Fourest, Le Géranium ovipare)

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