30 novembre 2005

Impertinence

HODIE

Ruralité chérie...


Suravertissement au lecteur

Depuis l'achevement de mon livre, Lecteur, j'ai entendu que nos consciencieux poëtes ont trouvé mauvais de quoi je parle (comme ils disent) mon Vandomois, écrivant ores charlit, ores nuaus, ores ullent, et plusieurs autres mots que confesse veritablement sentir mon terroi. Mais d'autant qu'ils n'ont point de raisons suffisantes, je ne daigneroi gaster l'encre pour leur faire entendre leur peu de verité. T'avertissant seulement de ne suivre l'erreur de telle grasse ignorence, mais fortifié de la raison qui me favorise, ne te laisse piper par leurs songes et vaines bourdes. Car tant s'en faut que je refuze les vocables Picards, Angevins, Tourangeaus, Mansseaux, lors qu'ils expriment un mot qui defaut en notre François, que si j'avoi parlé le naif dialecte de Vandomois, je ne m'estimerai bani pour cela d'éloquence des Muses, imitateur de tous les poëtes grecs, qui ont ordinairement écrit en leurs livres le propre langage de leurs nations, mais pas sur tous Theocrit qui se vante n'avoir jamais une Muse étrangere en son pais.
Quand à ce mot charlit qu'ils reprennent tant, si l'on veut bien pres regarder l'etymologie, tu le trouveras meilleur que chalit, et plus antique François, comme sentant encore le vieil age auquel nos premiers devanciers erroient ça et la, portant leurs lis sur des chars, comme les Scythes, et ceux qui habitent une partie de l'Afrique ; encores aujourd'hui voit on en la plus grande part des maisons champestres les lis estre faits à roue, pour estre plus glissans, et faciles à manier. Non que tel etymologie me plaise, ou qu'il soit necesite d'i avoir egard, ni en cestui-ci, ni aus autres : seulement j'ai bien voulu reboucher un peu les dens de ces abboieurs par telle derivation, affin qu'une autrefois ils ne soient si pronts à les afiler contre celui qui ne les pourroit ouir gronder, sans les pelisser par raisons plus fortes, que celles qu'ils auroient mises en avant pour me rechigner ou me mordre. Au surplus lecteur, je te veil bien avertir de ce verbe je va, tu vas, il vat, en lieu de dire je voi, tu vas, lequel j'ai forgé au patron de je ba, tu bas, il bat, car en lieu que l'un estoit irregulier, tu en auras un autre mieus forgé, et plus François qui est la seule touche sur laquelle tu dois examiner tes vocables sans les faire monstrueus ; et mal ordonnez, comme jadis estoit ce mot hymne que j'ai refondu dedans la propre forge Françoise, le finissant par nostre propre terminaison inne, rimant hinne sur divine, benine, dinne, outant le g superflu ; et si tu me dis qu'il estoit François au paravent, je te répon que c'estoit un monstre, et géant, pour n'avoir une seule terminaizon semblable à la sienne, se finisant en mne, et si tu en treuves quelque autre, lors j'avouerai ta raison, ce pendant je ferai servir la mienne, qu'avecq' le tens tu appreuveras, d'autant que c'est une regle generalle d'approprier sur la terminaizon françoise tous les mots tirés ds Italiens, Latins, et des Grecs, pour l'ornement et perfection de nostre langue.

(Pierre de Ronsard, Les Odes)

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