14 juillet 2005

Terreur

OLIM

Le papier à lettres, ça le fait aussi.


Sur un des plus hauts rayons de la bibiothèque, je revois encore une série de tomes cartonnés, à dos de toile noire. Les plats de papier jaspé, bien collés, et la rigidité du cartonnage attestaient l'adresse manuelle de mon père. Mais les titres, manuscrits en lettres gothiques, ne me tentaient point, d'autant que les étiquettes à filets noirs ne révélaient aucun auteur. Je cite de mémoire : Mes campagnes, Les Enseignements de 70, La Géodésie des géodésies, L'Algèbre élégante, Le Maréchal de Mac-Mahon vu par un de ses compagons d'armes, Du village à la Chambre, Chansons de zouave... J'en oublie.
Quand mon père mourut, la bibliothèque devint chambre à coucher, les livres quittèrent leurs rayons.
« Viens donc voir », appela un jour mon frère, l'aîné.
Il transportait lui-même, classait, ouvrait les livres, taciturne, en quête d'une odeur de papier piqué, d'une de ces moisissures embaumées d'où se lève l'enfance révolue, d'un pétale de tulipe sec, encore jaspé comme l'agate arborisée...
« Viens donc voir... »
La douzaine de tomes cartonnés nous remettait son secret, accessible, longtemps dédaigné. Deux cents, trois cents, cent cinquante pages par volume ; beau papier vergé crémeux ou « écolier » épais, rogné avec soin, des centaines et des centaines de pages blanches... Une oeuvre imaginaire, le mirage d'une carrière d'écrivain.

(Colette, Sido)

Aucun commentaire: